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Le soleil s'était déjà couché lorsque je franchissais le seuil de ma maison. Une agréable odeur flottait dans l'air, signe que le dîner ne tarderait pas à être servi. À peine rentrée, je retirai mes sandales, les mettant de côté avant de déposer mon sac sur la table d'appoint en verre qui tenait lieu à ma droite. Le vaste salon était aussi vide qu'un désert mais j'arrivais tout de même à percevoir des voix. Elles provenaient de la cuisine. Je m'y rendis donc, tombant sur Raya et tante Amanda. Elles feuilletaient un grand livre noir tout en commentant et en rigolant. Je m'appuyai contre le cadrage de l'entrée, les fixant les lèvres incurvées d'un large sourire, les bras croisés.

« Et ça c'était moi quand j'étais petite. J'allais souvent pêcher avec mon grand père sur la rivière Finn. »

C'étaient les dernières paroles de tante Amanda avant que je ne l'interrompe.

- Vous vous amusez bien à ce que je vois? lançai-je, goguenarde.
- Oh que oui ma petite, répliqua Raya.
- Approche, me fit signe tante Amanda.

J'exécutai puis allai m'installer entre Raya et elle après que celle-ci m'ait cédé son tabouret.
- Je montrais à Raya des anciennes photos.
- Fais-moi voir, m'accoudai-je, lasse, sur le plan de travail.
- Là, pointa-t-elle de son index, c'étaient tes arrières grands-parents, Kenan Jackson et la sublime Caitlyn Neve Murphy du comté de Tyrone.
- Elle était magnifique, remarquai-je en tâtant son image d'un air synesthésique.
C'était comme si je la sentais réellement.
- Pas autant que toi ma petite, m'empoigna doucement les épaules Raya.

Je lui souris affectueusement, caressant sa main par dessus mon épaule.
- À ce qu'il paraissait, baissa tout à coup tante Amanda sa voix comme pour citer un conte d'horreur, elle aurait été une princesse reniée par la cour royale. Dans le secret, bien évidemment.
Je fronçai les sourcils, dans l'incompréhension. Elle poursuivit :

- En effet, sa mère s'était entichée du prince cadet de l'époque et ensuite advint une grossesse. Le prince appréhendait le regard de la société. Imagine un peu un prince engrosse une de ses servantes. Le scoop du siècle! Ne pouvant laisser la nouvelle s'échapper, le prince renvoya Maureen, mon arrière grand-mère qui s'exila alors en Irlande du Nord. Elle rencontra une humble famille de fermiers à Tyrone qui l'hébergea pendant quelques mois, le temps qu'elle puisse donner naissance. Les périodes devenaient plus difficiles pour sa famille d'accueil vu qu'une peste ravageait tout sur son passage. Aucun animal n'était épargné. Maureen décida donc de sortir ses économies pour que survive la famille Dowd. La peste s'éteignait petit à petit et la grossesse de Maureen arrivait à son terme. Un beau jour, en partant traire les vaches, Maureen se pissa dessus. Ce qui pour elle semblait tout à fait anormal. Le bébé se mit à tressaillir en son sein et les premières contractions s'y mêlèrent. Tout cela était digne d'un film d'horreur pour Maureen qui n'avait jamais connu ces douleurs auparavant; cet état « nouveau » - neve. Ses cris alertèrent Henriett, l'épouse de Mr Dowd. Ils étaient tellement pauvres qu'ils ne pouvaient emmener Maureen à la maternité. Henriett décida alors de prendre le taureau par les cornes et d'aider Maureen à mettre au monde. Ainsi naquit Neve, la prunelle de ses yeux. Elle lui accorda son nom de famille, voilant par ce fait sa véritable origine...
Elle marqua une pause.
- Quelle histoire! s'exclama Raya.
- Ah ça tu l'as dit! Mamie Neve me la racontait autant de fois qu'elle en avait la possibilité.

Tante Amanda tourna la page de l'album et mon regard tomba raide sur un cliché en noir et blanc. Deux enfants y étaient affichés. Une fille et un garçon. Le petit garçon avait enroulé son bras autour du cou de sa sœur et tous deux étalèrent leurs plus beaux sourires. Je tirai lentement l'album vers moi, palpant avec réticence ladite photo.
- On étaient tellement heureux Philip et moi, reprit tante Amanda, nostalgique.
- Vous étiez adorables, dit Raya.
- Là c'était où? questionnai-je.
- En Irlande du Nord, avant qu'on ne s'expatrie dans le Wisconsin aux États-Unis.
- Papa et toi êtes venus aux États-Unis à quels âges?
- J'avais six ans et Philip neuf. Pourtant, gloussa-elle malgré elle, nous étions comme de vrais jumeaux.

Je souris également puis remarquai une photo d'un couple sur un quai.
- Et là, c'étaient vos parents ? désignai-je du doigt.
- Tout à fait. Là, c'était ton grand-père, Adam Jackson et à ses côtés ta grand-mère paternelle, Sandra Casanova. Elle était à moitié bélizienne et à moitié américaine. Ils se sont rencontrés à Tyrone alors que Sandra accompagnait son équipe de chercheurs sur les bordures de la rivière Finn. Mon père s'y rendait souvent pour méditer quand il n'avait pas de clients dans la taverne du père de son ami qu'on connaissait Philip et moi sous le nom d'oncle Bulbo. Il y travaillait comme barman afin de pouvoir se payer ses études en littérature. Ses parents n'avaient pu que le scolariser jusqu'à son avant dernière année de lycée et même la dernière, il a dû se la payer lui-même.
Et je disais tantôt que lorsqu'il était désœuvré, il se rendait à Finn pour se détendre. Il croisa ce jour-là Sandra dans les bois, séparée de son groupe de chercheurs qui eux s'étaient éparpillés. Elle s'était blessée et n'arrivait plus à marcher. Ne sachant comment s'y prendre, il dut lui enrouler sa chemise autour du genou pour éviter qu'elle ne perde beaucoup de sang. Puis, en tant qu'un bon gentleman, il la conduisit à l'hôpital le plus proche. Ce jour-là, Adam n'était pas allé travailler mais a tenu compagnie à Sandra à l'hôpital. La magie de l'amour s'y joignit et nous voilà aujourd'hui, finit tante Amanda.
- Que des histoires dignes de contes de fées! s'émut Raya en coulant une larme qu'elle nettoya rapidement avec son mouchoir blanc.

Tante Amanda quitta son tabouret pour aller la réconforter.
- Allez Raya! Là. Là.

Raya avait la réputation d'être énormément sensible. Ce qui justifiait cette scène.
- Qu'est-ce qu'il y a pour le dîner ce soir? changeai-je radicalement de sujet en fermant l'album-photo.
- Oh bon Dieu! s'affola Raya.

Elle s'extirpa de son siège pour sauter sur la cocotte reposant sur la plaque chauffante.
- C'est fichu! J'ai laissé le ragoût trop cuire! s'injura-t-elle.
- Il sera encore meilleur, la rassura ma tante.
- Non, tu ne comprends pas. Il ne devait pas dépasser les 2h sur le feu. C'est écrit dans le carnet de recettes.

Comme elle pouvait exagérer souvent. Quoique, sa réaction m'amusa quelque peu. Je m'immisçai dans la conversation.

- Ce n'est pas grave. On le mangera comme ça de toute évidence. Avec quelques minutes de cuisson supplémentaires, me moquai-je indirectement.

Elle se calma finalement puis nous servit son fameux ragoût de bœuf accompagné de quelques crudités. Et quoi de mieux que du bon vin pour accompagner ce repas copieux. Nous dînions ce soir-là dans la cuisine et dans une ambiance des plus chaleureuses.

ImpostorWhere stories live. Discover now