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     Hier, j'avais demandé à Jerry qu'il fasse venir Asha et Raquel à défaut de me rendre à La Casa. Mais, il ne trouva pas mon idée aussi intéressante que je la croyais. À la place, il accepta de faire venir l'une d'entre elles si bien sûr le patron lui accordait son approbation. En même temps, Sal... enfin qui vous savez n'a pas pu s'y opposer. C'était le moindre qu'il pouvait faire. Je fus alors dans le regret d'abandonner Raquel au profit de mon ancienne colocataire, Asha.

L'idée de cette visite me rendait plus qu'heureuse. C'était la raison pour laquelle je m'étais réveillée ce matin aussi enthousiaste que jamais. J'etais même parvenue à m'habiller toute seule et sur mes deux pieds. Eh ouais! Même si j'ai failli perdre l'équilibre au début je me suis résignée à ne pas lâcher prise. Tout de même, ils m'ont abandonné au bout d'un moment et je ne sus pourquoi. Je me retrouvai alors au sol comme un mollusque.
Mais rien n'allait gâcher cette journée qui pour moi s'annonçait merveilleusement bien. Je vêtais un ensemble blazer-pantalon large très classe. Je m'étais même remise à chantonner comme j'en avais l'habitude à La Casa.

J'avais finalement compris le concept du bonheur. Ce n'était pas d'avoir quelqu'un avec qui partager ses bons moments mais c'était de se réveiller chaque matin sans aucune raison de vivre mais de continuer quand même à espérer voir le jour suivant. Vous me direz que ce sont des propos contradictoires! Mais comprendra qui pourra!
J'en savais quelque chose de très profond. Je le vivais ce bonheur. Je l'avais autrefois connu. Et je peux dire que je suis entrain de le redécouvrir à présent.

Installée à comfort dans mon fauteuil roulant, j'attendais, impatiente dans le grand salon de l'appartement. La sonnerie retentit donc et mon infirmière me quitta pour aller ouvrir la porte. L'inaudible grincement de l'immense morceau de bois blanc laissa place à une jeune femme derrière laquelle s'érigeait un des gorilles chargés de la sécurité. Teint légèrement bronzé, des paires de baskets Jordan desquelles débordaient des chaussettes assorties aussi blanches que neige, un combishort noir offrant un petit décolleté zippé au niveau de la poitrine, des courbes parfaitement affinées par le pole dance, un visage oval assez ferme et vigoureux, de petites lèvres rosies par le gloss kiko Milano qui était d'ailleurs son préféré, un nez aussi parfait que même les Kardashian l'envieraient, des cils à vouloir se faire envoyer en l'air ( dans le sens propre du terme bien sûr ), des mèches de cheveux autant brunes que blondes surplombant sa boîte crânienne. Et quoi de plus qu'un canteen bag noir s'implantant en diagonale en passant par le milieu de ses seins. C'était bel et bien Asha. Elle n'avait pas changé.

Mon regard croisa aussitôt le sien, marron et plein de sentiments indescriptibles.
- Asha! dis-je, un brin d'excitation dans la voix. Tu dates vachement meuf!
Elle essaya de me glisser un sourire dépourvu de tout effort et énergie. Je la fixais donc avec incompréhension pendant que le garde du corps referma discrètement la porte derrière lui.
- T'es pas contente de me voir? lui demandai-je, un peu troublée par son attitude. Allez, viens! Viens t'asseoir, mimai-je afin d'appuyer mes paroles.
Elle finit enfin par m'adresser quelques mots.
- En fait, ce ne sera pas nécessaire, dit-elle en baissant la tête, l'air gêné.
Elle la releva aussitôt, respira un grand coup puis continua:
- Je ne compte pas durer.
- Au moins, assieds-toi! la suppliai-je, presqu'affolée. Quelque chose ne va pas? Il s'est passé un truc à La Casa et tu n'veux pas m'le dire, pas vrai? Putain, parle!
- Ça t'a arrangée, n'est-ce pas?
- De quoi tu m'parles là?
- De quitter ce taudis et de nous abandonner les filles et moi toutes seules.
Je n'en revenais pas. J'essayais de garder mon sang froid et de lui faire comprendre la réalité des faits.
- Non absolument pas. La preuve, je me retrouve dans cette chaise roulante et c'est pas que j'm'y éclate.
- T'as préféré nous lâcher, c'est ce qui parait le plus clair à comprendre. Si t'étais pas partie, tu n'en serais pas là. Si juste tu avais pensé à refuser que Salvatore entre dans ta vie tu... voulut-elle poursuivre en hésitant. Tu sais, lança-t-elle la voix tremblante, ça me fait vraiment de la peine de te voir assise dans ce fauteuil. Et je le dis sincèrement.
Elle aussi ressentait de la pitié pour moi alors? Je me vidais de toute gaieté et bientôt, mon visage sombrait au désespoir. Je constatai que mon infirmière était toujours présente dans la pièce et je lui ordonnai de s'en aller.
- Yasmine, sortez d'ici! fis-je les yeux rouges.
Elle ne broncha pas et exécuta. Elle sortit de l'appartement en daignant au passage récupérer son tote bag qu'elle avait souvent l'habitude d'emmener. Je me tournai alors vers Asha.
- Si c'est pour me témoigner de ta pitié, je préférerais mieux que tu t'en ailles, repris-je fermement, mes dents resserrées sur elles mêmes.
- Il ne t'as jamais mérité ce pauvre type. T'as vraiment été conne sur ce point, Kara, finit-elle, en larmes.

Ces quelques mots brisèrent mon ego et je me rendis compte qu'elle avait totalement raison. Salvatore ne m'a jamais mérité et je n'aurais jamais dû laisser tomber les filles, surtout Asha. Mais je n'avais pas eu le choix. Ma volonté n'avait malheureusement pas de valeur à ce moment-là.

Je pouvais lire toute l'amertume qu'elle éprouvait dans ses larmes et dans son regard. Je la vis alors s'approcher très lentement de moi et je sentis son parfum pour une dernière fois, ces chauds arômes de vanille et de noix de coco. Elle se courba ensuite et nos iris s'entrechoquèrent. Sa respiration se propageait sur mon visage pendant que ses lèvres hésitèrent à se poser sur les miennes. Elles désistèrent et s'orientèrent tout à coup vers ma pommette gauche où elle me déposa un baiser avant de se redresser. Elle tentait d'essuyer les quelques larmes qui avaient entaché son visage sans faute. Puis, d'un timbre inhabituel, me fit ses au revoir.
- Je te souhaite de rencontrer une personne qui t'aimera et te respectera à ta juste valeur. Prends soin de toi! termina-t-elle de nouveau larmoyante.
Elle se retourna, décidée à partir lorsque je me battis à la rattraper en actionnant mon fauteuil roulant. Je la tenais fermement par le bras, en sanglots :
- Reste s'il te plaît.
Son regard tomba à nouveau sur le mien quand elle tourna sa tête mais cette petite lueur qui avait coutume de siéger dans ses yeux avait disparu. Elle retira son bras de ma main et muette, partit sans que je ne puisse avoir le temps de réagir. J'essayai de me lever mais à peine eus-je tenu quelques secondes sur mes pieds que je croulai par terre, tel un géant baobab qui venait d'être abattu. De toute évidence , il était déjà trop tard. Elle s'en était allée.

Je me lamentais, rampant jusqu'à la porte et hurlant son prénom. Aucun signe d'Asha.

Et pourtant, à défaut que les anges entendent mes supplications, les colombes n'y sont pas restées indifférentes.

Le gorille, Scofield ouvrit la porte et me découvrit par terre, au bout de ma vie. Il m'aida à me relever ou du moins n'eus-je aucunement le droit à l'effort physique. Il me porta dans ses bras jusque dans le canapé et s'assura que je n'avais rien de cassé. Il fit ensuite appel à Yasmine qui revint dans les minutes après.

Je ne cessais de pleurer et je risquais bientôt d'atteindre le stade 2 de la démence. Je fus donc sujette à une administration de sédatif pour me tranquilliser. Et ainsi, je fus emportée dans les vapes...

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