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[Abby]
J'étais décidément la meilleure épouse au monde. La femme parfaite, ne trouvez-vous pas? Quelle ironie! Je l'étais pourtant de loin...
J'avais le cœur serré face à la peine de Christopher, encore plus face à celle de Peter qui était devenu pour moi le frère que je n'avais jamais eu. Quand bien même, je ne cessais de le haïr, ce satané type. Cette perte ne faisait que me faciliter la tâche. La mort de sa mère le rendait faible et accessible. Je risque de n'en faire qu'une bouchée.
Je fus tentée de passer par la villa Smith, une dernière fois avant de la rayer définitivement de mes souvenirs. La demeure avait bien changé mais elle était restée au même endroit. Le portail s'ouvrît automatiquement puis j'accédai, nostalgique à la concession où parfois, 'fin quelques rares fois j'ai mis pied durant mon enfance bousculée et instable. Je vous mentirais si je disais que j'avais daigné ne serait-ce qu'une fois mettre mon nez ici durant ces années de mariage; ne serait-ce que pour visiter Anna. Nous nous téléphonions quelques fois, bien qu'elle insistait pour que je passe la voir, je faisais tout pour qu'on se rencontre soit dans un restaurant soit dans un palace ou chez moi. C'est vrai que je l'ai vue il y a de cela trois mois. Elle respirait à pleins poumons la vie, si aimable... Je repris mes esprits vu que j'en étais presqu'au bord des larmes. J'avançais lentement dans ma caisse, ma préférée de toutes celles que j'avais d'ailleurs, une Aston Martin brune de collection. Je fis une rotation autour de la fontaine ubérale avant de stationner non loin de la bâtisse. Je descendis et me dirigeai vers la grande porte d'entrée en vieux bois verni, transportée par la douce brise de printemps. Je pouvais voir les agents de l'entreprise Comfy and Clean faire leurs allers et retours un peu éparpillés, loin sur le tapis de verdure et de fraîcheur qu'offrait le jardin. Ils y disposèrent de longues tables semblables à des tabourets les sublimant par des ombrelles. Il y en avait au moins une vingtaine. Je n'y prêtai plus attention et je sonnai à la porte. Une servante vint m'ouvrir.
- Bonjour madame, commença-t-elle. Veuillez entrer, je vous en prie.
   Je lui réponds pas un « bonjour » sec avant d'entrer. L'intérieur grouillait encore plus de monde que l'extérieur. Là, je n'en croyais plus mes yeux. Le décor semblait tout autre que celui d'un événement pareil. Ce n'était plus des funérailles mais plutôt un cirque. Je m'approchai d'une des servantes qui vacillait d'un côté à un autre et lui demandai de me faire parvenir Julia, la gouvernante. Elle n'hésita point à m'exécuter.
- Vous voilà enfin Julia.
- Mlle Wright, cela fait longtemps que je ne vous avais plus vue par ici. Toujours aussi resplendissante! me complimenta-t-elle.
- Comme toi d'ailleurs. Tu es restée la même que dans mes souvenirs.
- Vous risquez de me faire rougir là, souria-t-elle.
- Au fait, pour le décor, les agents auraient-ils oublié qu'il s'agit d'un enterrement ?
- J'étais toute aussi surprise que vous quand j'ai vu cela. Mais il paraît que c'est monsieur lui-même qui a voulu que la maison soit décorée de la couleur préférée de Mme Smith, qu'elle repose en paix, ajouta-t-elle en faisant un signe de la croix.
          Le jaune? Franchement, qui peut aimer cette couleur aussi pénible qu'aveuglante? Il faudrait bien avoir de bas goûts pour ça.
- Ah je vois! fis-je semblant d'apprécier.
- C'est pas tout ça, mais je dois aller coordonner le boulot qui se fait en cuisine. Si vous voulez bien m'excuser...
              Elle s'en alla ensuite. Que pouvais-je dire de plus? Rien, bien évidemment. Ce n'était pas les funérailles de ma mère. Bien que j'aurais aimé offrir un enterrement digne de ce nom à la mienne décédée trop tôt pour me voir grandir trop tard. J'avais encore tant de choses à lui dire et pourtant rien de concret. Je voulais juste, petite, savoir si elle m'aimait autant que je la chérissais d'ici bas. Je n'avais qu'une notion abstraite de l'amour maternel. Qu'est-ce réellement une mère ? Aucune idée! Et je n'en avais que faire à présent. De toute façon, le mal est déjà fait. Les séquelles de mon enfance cicatriseront peut-être toute ma maigre existence mais elles gardent à jamais le mérite de me rappeler que le passé n'a été qu'un rêve...
La sonnerie retentit. Étrange! Seraient-ils déjà de retour du cimetière ? Une servante, la même qui m'eut ouverte la porte plus tôt mit fin à l'interrogatoire que je m'infligeais psychologiquement en laissant paraître derrière le bout de bois gigantesque deux hommes: l'un à la peau ébène et l'autre, à la peau moins foncée.
Je m'avançai alors vers eux, curieuse et intriguée.
- Qui sont ces messieurs? demandai-je à la servante, en reluquant le grand caucasien, aux cheveux de jais mi-longs et au regard bleu intense.
- Euh, ils prétendent être des policiers madame, me répondit la servante.
- Disposez! lui lançai-je sèchement.
Chose qu'elle fit. Je m'adressai maintenant aux deux hommes, les invitant avant tout à entrer et s'asseoir.
- En quoi puis-je vous aider? commençai-je.
- Nous voudrions nous entretenir avec un membre de la famille Smith, répliqua l'un des deux hommes.
- Ça tombe bien. Je suis l'épouse de Christopher Smith. Que puis-je faire pour vous ?
- Ah, moi c'est Anthony Ross et voici mon collègue, Jay Bells.
Il me tendit la main et je la lui serrai vigoureusement. Son collègue en fit de même. Il reprit:
- Nous voudrions vous poser quelques questions sur l'ex défunt chauffeur de la famille, Philip Jackson. Si cela ne vous dérange pas bien entendu!
- Hmm... Je ne pense pas savoir de qui vous parlez. Lorsque je m'étais mariée à mon tendre époux, je n'avais aucune connaissance d'un tel homme.
- En êtes-vous sûre madame? me questionna Jay.
- Ai-je l'air de plaisanter? interrogeai-je mon interlocuteur, le regard dur.
- Excusez-le! Il ne voulait pas dire cela. Mais, une chose titille ma curiosité.
- Quoi donc?
- Comment se fait-il que vous ne savez rien sur Philip? Enfin, sans vous offenser, personne n'a jamais parlé de lui ici?
- Me croiriez-vous si je vous disais que c'est la seconde fois que je mets les pieds dans cette maison depuis quatre ans?
           Il ne plaça plus de mot. Je continuai:
- Je pense que vous avez déjà obtenu votre réponse. Mais, peut-être qu'une des domestiques ou encore Julia en auraient quelques mots à vous dire à propos.
      Je fis signe à l'une des servantes afin qu'elle me fasse parvenir Julia. Ma curiosité me poussa à tirer la langue de mes interlocuteurs.
- Une question me trotte bien à l'esprit depuis. Qu'est-il arrivé à ce monsieur dont vous parliez à l'instant ?
- Il a été retrouvé assassiné et hélas sa fille a également disparu peu de temps après, me fit savoir Anthony.
- Je suis vraiment navrée.
            Je ne savais que dire de plus. La tension qui régnait entre nous était électrique. L'atmosphère était tendue et ils semblaient cogiter. Je vis Julia venir et je l'abordai aussitôt.
- Julia, te voilà. Ces braves messieurs auraient quelques questions à te poser.
- Pas de soucis madame.
- Sur ce, je dois partir. J'ai quelques affaires à régler au bureau. Ce fut un honneur de m'être entretenue avec vous, m'adressai-je aux deux agents de police. Julia, à la prochaine.
        Je me levai respectueusement sur ces mots et n'eut pour alternative que de me diriger vers l'entrée qui était à cet instant précis une sortie. J'avais horreur des questions interminables. Que des grandes gueules ces policiers! Mais rien dans le fond. La plupart trop corrompue et l'autre infirme partie un peu trop honnête à mon goût. Certes, ils avaient eu à faire leur choix, celui de mourir pour des causes perdues, mener des enquêtes impossibles, enchaîner des expériences traumatiques et j'en passe. Mais, ce qui aurait été le plus pitoyable serait de revoir à nouveau Christopher dans la même journée. Parce que ça c'est sûr, je lui arracherais ses organes un par un...

Je roulais dans ma voiture depuis un moment. Il me semblait une éternité pour arriver à mon bureau. J'avais un terrible mal de tête. Sûrement l'eus-je mérité... Je réfléchissais beaucoup pour peu et je parlais moins pour en dire beaucoup. Mes nerfs étaient tendus et mon esprit dispersé dans un monde sans fin, le néant. Je garai la voiture au beau milieu de nulle part et je passai un coup de fil.
-Allô, Abby! Il faut qu'on s'voit...

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