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-Quelles étaient vos impressions lorsqu'elle vous a annoncée que vous étiez dans une maison close?
questionna Lauren, en réajustant ses lunettes.
Je respirai un grand coup avant de lui répondre.
- J'étais au fond du gouffre... À vrai dire, ce que je ressentais était indescriptible.
- Je vois! dit-elle en prenant note.
Elle reprit:
- Et vous y avez fait combien de temps?
- Un an deux mois et treize jours..
Elle ne dit rien pendant un instant avant de continuer:
- À bien analyser votre récit, qu'est-ce qui a contribué à votre métamorphose psychologique? Parce que, si je ne me trompe pas, vous étiez une jeune fille timide, pas très courageuse et parfois grossière mais pas celle que vous êtes aujourd'hui.
- Qui suis-je réellement ?ris-je en coulant une larme. Peut-être qu'au fond, j'ai toujours été comme ça.
- Je prends bonne note, répliqua-t-elle en hochant la tête.
Une fois qu'elle finit de noter, elle continua:
- Racontez moi tout ce qui s'est passé durant ce temps au Mexique.
- Hmph..., soupirai-je. Alors...
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Je n'avais pas pu fermer l'œil depuis qu'elle m'avait dit cela. Ses mots se répétèrent dans ma tête. J'y pensais et repensais. Mais, une seule question me venait à l'esprit. Elle seule pourra y répondre.
- Eh, Asha..., fis-je tout bas. Eh, réveille toi!
Elle se retourna, à moitié endormie et prononça des mots qui au début me paraissaient imperceptibles.
- Hmm... tu veux quoi?
- Pourquoi nous font-ils ça?
- Tu parles de quoi?
- Pourquoi devrait-on se prostituer?
- Aucune idée, répondit-elle en se redressant et en se frottant les yeux.
- Tu devrais le savoir pourtant. T'es la plus ancienne ici.
- Du calme la nouvelle. La plus ancienne ici c'est Vero. En plus, j'parie qu'elle n'en saurait rien non plus.
- C'est qui Vero?
- Veronika pour être plus précise. Tout le monde l'appelle la doyenne ici. Elle représente les yeux et les oreilles du patron.
- C'est une moucharde alors?
- Ouais t'as tout compris. Maintenant laisse moi dormir, finit-elle en se recouchant. Y
- Personne connaît rien ici ou vous faites tous semblant?
- Va demander au Boss! me lança-t-elle.
Je ne dis plus rien. Asha n'en fit pas moins. Je fixais le plafond. J'avais tant de choses à savoir mais on ne me disait que peu. Je n'eus pas d'autre option que de fermer les yeux et d'essayer de dormir. Enfin si j'y arrive...
                                  *
Je sentis comme un léger parfum de vanille me chatouiller les narines . Mes yeux étaient par contre torturés par les rayons aveuglants du soleil qui irradiaient à travers la fenêtre géante. Je me retournais sans cesse sur le lit tout en geignant. Une voix me parvint:
- Alors grosse limace, tu te réveilles pas?
Je me retournai une fois encore sur moi-même et peinai à ouvrir les yeux.
- Laisse moi dormir Asha...
- Tu sais au moins quelle heure il est?
- Quelle heure? balbutiai-je.
- 13h et quart. T'as pas dormi depuis une semaine ou quoi?
Je me redressai assez rapidement, affolée.
- Jure! Pourquoi tu m'as pas réveillée plus tôt ? Où suis-je? Au paradis? Dis moi qu'on m'a punie n'est-ce pas? Merdeeee répond moi!!
Elle s'esclaffa tout en s'affalant sur le canapé, une pomme à moitié croquée suspendue à sa main droite.
- T'as de drôles d'idées toi!
- Comment ça ? Donc je suis toujours vivante ?
Je palpai mon corps et mon visage histoire de m'en assurer.

- Bien sûr p'tite conne. Vas-y lève toi. Prends un bain et on descendra prendre un bout.
- Et le programme de Charly alors?
- Ici, il n'y a pas de programme. Donc magne.
Je ne dis plus rien puis exécutai. Je vais prendre un bain et j'assure tous les soins corporels nécessaires. La chambre était bien équipée . J'avais même un dressing rien que pour moi. Je ne vais pas nier que j'appréciais bien cela. Mais ce qui me déplaisait le plus c'était le regard insistant que portait Asha sur moi depuis quelques minutes.
- T'as jamais vu une fille à poil? lui demandai-je.
- Si, mais pas toi, me répondit-elle tout en souriant.
- C'est bon là. Arrête! Ça en devient presque gênant.
- Va falloir me crever les yeux alors, parce que je ne compte pas me priver de mater un si beau corps.
Je restai silencieuse un instant avant de reprendre:
- T'aimes les filles?
-À ton avis? fit-elle en me reluquant de haut en bas, davantage. Vas-y, habille toi vite sinon je ne promets pas que ma réponse à ta question soit juste orale.
J'eus l'air de comprendre ce qu'elle disait mais je n'y prêtai plus attention. Je saisis une robe très simple, pourpre et ovale pour l'enfiler mais Asha m'en dissuada.
- Je te conseille plutôt des leggings et une brassière.
- Pourquoi ?
- Cherche pas à comprendre.
         Je ne plaçai plus aucun mot. Je me suis soumise, comme d'habitude.
On ne tarda pas à descendre et la villa grouillait de monde. Les filles étaient éparpillées un peu partout. Certaines bronzaient au soleil pendant que d'autres chillaient devant le géant écran accroché au mur marbré du salon. Asha me sortit de ma rêvasserie.
- Viens! La cuisine c'est par ici.
Je la suivis. Nous finîmes par atteindre l'endroit, aussi vaste qu'un restaurant tout entier. Asha s'arrêta enfin devant le plan de travail où elle s'accouda tout en me fixant et en me gavant de questions.
- Pancakes? Bacon? Churros ? Guacamole? Tacos? Risotto? Falafels? Gaspacho? Frites? Gambas? Allez que veux-tu? me demandait-elle toute excitée.
Je fus amusée de la voir ainsi. Je lui répondis finalement.
- Juste des crêpes, Ratatouille!
- J'aime ton sens de l'humour, dit-elle en saisissant une poêle. Même si j'aurais aimé te cuisiner à la place.
          Je ne savais plus quoi dire. Je la regardais juste valser entre la plaque chauffante et le frigo. L'ambiance semblait tendue. Asha brisa le blanc qui régnait.
- Comment t'en es arrivée ici?
- Une longue histoire j't'assure.
- Je suis à l'écoute.
- En vrai, j'ai juste dit mon prénom à une rousse et boom, j'ai atterri ici.
- T'avais pas de famille?
- Si enfin non, je crois pas.
- Tu crois pas?
- Ma seule vraie famille est décédée il y a quelques semaines.
- Ta mère ?
- Elle? Qu'elle aille se faire voir. Il s'agissait de mon père.
- Ow, je suis désolée, fît- elle en posant sa main droite sur la mienne.
- Y a pas de quoi tu sais.
- Allez, j'veux pas te voir triste comme ça ou j'vais aussi me mettre à chialer.
- Oui, j'arrête, repris-je en refoulant les larmes qui s'obstinaient à vouloir fuiter de mes yeux. Et toi alors? Qu'est-ce qui t'as amené jusqu'ici?
- Je préférerais ne pas en parler, me répondit-elle sèchement avant d'enlever sa main.
- Tu peux me faire confiance, la rassurai-je.
             Elle hésita avant de parler.
- Je venais d'avoir mes 18 ans quand ma mère était décédée. Je vivais en Inde avec mon beau père et ses deux garçons. Nous étions très pauvres et j'avais arrêté le lycée cette même année. Je n'avais pas eu mon bac. Mon beau-père sombrait dans l'alcool et toutes sortes de drogues. Il en était devenu dépendant et il ne rentrait que tard les soirs. Ses deux fils quant à eux traînaient dans des affaires louches. Ils n'étaient jamais à la maison. Moi par contre, l'on m'enfermait comme une esclave. Je n'avais droit à rien et je devais m'y faire. Je n'étais pas chez moi. Un soir, mon beau père est rentré à la maison. Je m'étais assoupie devant la télévision donc je ne m'en suis pas rendue compte. Il s'est approché de moi et m'a caressée. J'ai sursauté et je me suis réveillée, sur la défensive. Il me rassura qu'il ne me voulait pas de mal tout en continuant à caresser mes jambes dénudées à travers ma robe de nuit. Je m'éloignais mais il s'approchait encore et encore. Il me saisit violemment avant de me plaquer contre le mur du salon. Ses mains se baladaient partout sur mon corps mais encore plus sur mes seins. Il me jeta par terre avant de m'arracher mon dessous et... Ce soir, j'ai perdu mon innocence d'une manière très brutale. Et le pire, c'est que j'ai aimé. Chaque soir, c'était pareil. Soit il m'attachait pour que je finisse les jambes en l'air soit il innovait. Rajiv était loin d'être le beau-père vieux, grincheux ou encore impuissant que toute jeune fille de mon âge pouvait avoir. Au contraire, il était plutôt bel homme, frôlant la quarantaine. Et, vu les petits services que je lui rendait, il me conférait un peu plus de liberté. Je n'étais plus son esclave mais sa maîtresse... J'avais des envies. Plusieurs envies je dirais. Je voulais sans cesse qu'on me touche, qu'on soit sauvage avec moi; limite, je voulais qu'on me viole. Je commençais à traîner dans les coins les plus douteux de la ville, à la recherche du plaisir sadique. Puis, je suis tombée un jour sur cet homme, Tomy. Il m'a emmenée ici. Et voilà...
Elle ne dit plus rien. Je ne tardai pas à commenter.
- J'avoue, ce que j'ai vécu n'est rien comparé à ton histoire. Mais ce qui a l'air de coïncider dans nos vies, c'est que nous n'avons plus rien à perdre. Maintenant, je comprends mieux ta personnalité.
- J'ai honte... Franchement, j'avais jamais raconté ça à personne auparavant, me dit-elle en baissant la tête.
- Hey miss, y a pas de quoi tu sais. T'es une belle personne et ta libido n'en fait pas le contraire. Nous avons tous nos défauts et nos qualités. Tu as fait tes choix juste par nécessité et regarde où t'en es aujourd'hui. Peut-être t'es pas dans un palais et vêtue d'une robe de princesse, mais t'es là où tu dois être. Enfin, là où ton destin t'as conduite, tout comme moi.
Elle me fixa longuement avant de répliquer:
- Allez, t'as réussi à m'faire pleurer.
Je la pris juste dans mes bras et la réconfortai du mieux que je pouvais, comme j'aurais aimé que l'on me fasse il y a quelques jours encore.
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- Cette soit disante Asha, vous avez gardé contact avec elle? questionna Lauren.
Je pleurais, une fois encore, plus intensément. Je passais la main dans mes cheveux comme si je voulais me les arracher. Lauren reprit:
- Je ne pense pas qu'on puisse continuer. Je clos la séance.
- Non! Non! m'exclamai-je, hystérique. Je vous paie pour m'écouter raconter ma vie et pour me conseiller, pas pour vous soucier de ce que je ressens ou de mes émotions. Donc Dr Lauren, je compte faire d'une pierre deux coups.
- Okay, Mlle Jackson, soupira-t-elle. Mais au moins, laissez moi vous faire une tisane relaxante. Puis nous continuerons.
Je hochai la tête en guise d'accord. Je la vis se lever et se diriger vers une porte, sûrement la cuisine. Je levai les yeux en direction de l'horloge anglaise qui était suspendue au mur en face du canapé où j'étais allongée. Il sonnait 13h38. Je ne m'arrêtais guère de fixer l'horloge, espérant le retour de mon auditrice. Elle ne tarda pas à revenir, deux tasses dans ses mains. Elle m'en tendit une et je l'en remerciai.
- Excellente cette infusion ! complimentai-je.
- Merci beaucoup. S'il y a bien une chose qu'on sait faire dans ce cabinet , à part bien sûr"conseiller" nos clients, c'est justement des tisanes.
Je me contentais de savourer ma tisane aux arômes de camomille et de citronnelle. Un silence s'installa dans la pièce et il fut rompu par le hou-hou de l'horloge. Il sonnait 14h à présent. Lauren continua:
- Alors, miss K vous n'aviez pas répondu à ma question.
Ma gorge s'était nouée et je ne parvins qu'à sortir ces quelques mots:
- Tout était de ma faute.
- Quoi donc, miss Jackson?
- Asha est partie.
- S'était-elle finalement échappée de la maison close?
- Elle est morte.
- Ah... Je suis navrée.
- Non, ne vous en faites pas docteur.
- Souffrait-elle d'une maladie? À vos propos, elle semblait pleine de vie.
- Oui, elle souffrait d'un grand mal, l'amour. Asha est morte d'amour pour moi, terminai-je en coulant des larmes tant amères que douloureuses.
-Que s'est-il passé ? Racontez moi tout, très chère.
- Ce soir là, Asha m'avait montré la plus belle preuve d'amour qui puisse exister...

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