13.

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Je ne savais plus qui j'étais. Le monde autour de moi s'était effondré depuis le jour où j'ai posé les yeux sur le corps sans vie et criblé de balles de mon père. Je n'arrivais plus à m'arracher cette maudite image de la mémoire. Je pleurais chaque jour et chaque nuit, espérant soulager ma peine mais en vain. Le jour de son enterrement , j'étais anéantie. Il était ma seule famille, même si j'avais toujours ma tante Amanda pour veiller sur moi, je ne pouvais guère m'enlever de l'esprit cette sensation de "seule au monde". Je m'étais décidée à fuguer, quitter cette baraque qui me rappelait incessamment tout sur lui. Je ne pus que mettre deux ou trois habits de rechange dans mon sac à dos, une couverture et mes économies qui s'élevaient à peine à $100. J'attendis la nuit profonde quand tout était calme pour m'enfuir de la maison. Tante Amanda dormait déjà. Malheureusement, je n'eus pas le courage de lui laisser ne serait-ce qu'une petite lettre en guise de remerciement pour tout le soutien moral qu'elle m'avait apporté pendant cette période difficile de ma vie.
Je ne pouvais plus reculer. Je marchais, solitaire et le corps tremblotant. J'atteignis après des heures de marche Times Square. Tout était si magnifique. Pour une jeune fille de mon âge qui n'avait jamais connu la grande ville et l'opulence, voir ces grands écrans et toutes ces lumières me paraissait nouveau. Mais, je ne m'arrêtais pas d'avancer. J'avais perdu toute notion du temps. Je pus m'approcher d'une femme, fine et blonde, probablement dans la trentaine et lui demandai:
- S'il vous plaît madame, puis-je avoir l'heure?
- 4h56, me répondit-elle avec amabilité, après avoir consulté son téléphone.
- Merci.
Je ne dirai pas que nous étions pauvres au point où je n'avais pas un portable mais j'avais fait tombé le mien et mon père m'avait promis de m'en acheter un autre pour mon prochain anniversaire. Mais malheureusement, tout ne s'est pas passé comme prévu. J'apercevais un parc. Je décidai de m'y rendre dans l'espoir de trouver un banc où je pouvais allonger mon corps fatigué et à bout d'énergie. Par miracle, j'en repérai un et je m'y posai, me couvrant de ma couverture et me servant de mon sac comme oreiller. J'étais loin d'être comfortable mais j'assumais les risques de l'aventure dans laquelle je m'étais embarquée.

Un parfum agréable me chatouillait le nez. Je sentis une main, chaude et délicate se poser sur moi. J'ouvris automatiquement les yeux et je fus surprise de tomber sur le visage d'une jeune femme rousse, aux yeux verts. Je me redressai aussitôt, sur la défensive et saisis fermement mon sac.
- Qui êtes-vous ? lui demandai-je.
- Ne t'en fais pas. Je ne te veux aucun mal. Je faisais mon footing habituel ici et je t'ai aperçue. Tout va bien?
- Que me voulez vous?
- Aucun mal, reprit-elle. Moi c'est Alicia et toi?
- Moi c'est Kara, dis-je en hésitant.
- Tu vis dans l'coin, Kara?
- Non, répondis-je sèchement.
- Je croyais que tu étais l'une des ces Latinas qui s'exilaient ici à New York sans quelque part où aller. Je travaille pour une association qui les héberge et qui leur trouve un travail.
Pourquoi me disait-elle tout cela? Voulait-elle m'aider? Ou cherchait-elle à me voler? J'avais pourtant l'impression qu'elle n'était pas à craindre. Et puis de toute façon, je devrais tôt ou tard chercher du boulot. Mes économies finiraient bien un jour et c'est sûr que je vais pas dormir sur un banc toute ma vie. Mille et une pensées s'enchevêtraient dans ma tête. Je finis par parler.
- En toute franchise, je n'ai nulle part où aller et je cherche aussi du travail.
- Du coup, j'ai bien fait de m'approcher de toi. Allez, t'as faim?
J'hésitai à répliquer. J'étais tellement gênée.
- Je prends ton silence pour un oui alors. Viens, je connais un café dans le coin, ils servent de bonnes brioches. Tu vas aimer.
Elle me sourit si tendrement que j'en avais les poils qui se dressaient sur ma peau. Je n'étais pas pourtant au bout de mes peines...

Un moment plus tard
Nous étions arrivées à son appartement. C'était un petit studio qui pouvait à peine contenir deux personnes. Mais, je ne savais pas que je venais d'atterrir dans une prison...
- Voilà, ici c'est chez moi! C'est peut-être petit mais je fais avec.
- Tu n'es pas supposée travailler pour une association?
- Oui mais voyons chérie, j'aime vivre modestement et dès demain, je pourrai t'emmener à la direction de l'association.
- Et comment s'appelle cette association?
- Euh... Help Program .
- Jamais entendu parler.
Elle sembla chercher un truc sur son portable. Elle finit par me montrer les infos sur l'association. Je lui accordai le bénéfice du doute. Je pouvais dire que j'avais déjà un peu plus confiance en elle.
-Si tu veux prendre un bain, la douche est juste derrière cette porte.
- Je pense que j'en ai besoin.
J'étais persuadée qu'elle voulait m'aider. J'ai trop vite fait confiance. J'étais naïve, un peu trop je dirais. Je ne savais pas que bientôt, tout allait tourner au vinaigre.
Je déposai alors mon sac et pris la direction de la salle de bain. J'y entrai et m'y déshabillai. J'ouvris l'eau. Elle coulait sur mon visage puis sur mon corps à moitié vivant et presque mort. J'entendis la voix d'un homme. Je coupai alors le circuit d'eau pour mieux percevoir la voix qui me paraissait inconnue. Oui, c'était bel et bien un homme. À entendre sa voix, il devait sûrement tourner autour de la quarantaine ou un peu plus vers la cinquantaine. Alicia avait-elle un mari? Ça j'en doute. Elle ne me l'avait pas dit. Je collai mon oreille à la porte et je pus entendre la conversation qu'elle tenait avec le mystérieux monsieur.
- La marchandise est là ? demanda l'homme.
- Oui, elle prend un bain.
Je me décollai aussitôt de la porte, la bouche grande ouverte et les larmes qui coulaient à perte de vue. Je dus heurter le pose-savon, ce qui le fit tomber.
- Tout va bien chérie ? me demanda la roussette.
Je n'eus pas d'autre choix que de lui répondre.
- Oui, oui! Pourrais-tu m'apporter mon sac s'il te plaît, j'y ai mis un habit de rechange.
- Ok, un instant.
Elle me l'apporta en ouvrant légèrement la porte. Je pus voir la silhouette de l'homme mais je n'arrivai guère à l'identifier. Je me changeai. Je ne savais plus quoi faire. J'étais foutue.

Avais-je le choix à cet instant précis ? Non, je ne pense pas. Je cherchais un moyen pour m'échapper d'ici mais mon cerveau ne voulait pas collaborer. Je tremblais. Alicia vint frapper à la porte.
- Kara, t'as fini?
- Ou...oui. J'arrive! pus-je sortir du fond de mes cordes vocales.
Bon! Je devais affronter mon destin. Je sortis et je me trouvai nez à nez avec un monsieur, à la barbichette mixte, très hideux et au physique vulgaire. Son style était digne d'un campagnard qui semblait copier les urbains. Il avait une cigarette au coin de sa bouche et empestait la sueur à des mètres. Je me mis à pleurer parce que je savais que mon sort était déjà scellé.
- Pourquoi tu m'as fait ça, Alicia? me tournai-je vers elle, brisée.
Mais à ce moment, elle n'eut pas le courage de me répondre et je sentis que j'avais fait une grave erreur...

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