Chapitre 6

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Elwina était allongée dans son lit, le corps raide, les yeux ouverts qui fixaient son plafond. Elle n'avait fermé ni ses rideaux, ni ses volets, et à travers la fenêtre la pleine lune illuminait sa chambre.

Il devait être minuit, et cela faisait deux bonnes heures qu'elle se tenait ainsi, sans avoir bougé ne serait-ce que d'un millimètre. La seule chose qu'elle pouvait faire, les nuits de pleine lune, c'était rester immobile et attendre que ça passe. Les secondes paraissaient des heures, les minutes des jours. L'éternité défilait devant ses yeux, et la jeune femme se surprit à remercier Dieu de ne pas être immortelle.

Elle ne croyait même pas en Dieu.

Sa féline noire sauta sur le rebord du lit en miaulant.

« Je veux sortir » semblait dire l'animal, de ses grands yeux ébène, qui fixaient Elwina sans sourciller. L'intéressée soupira, et se redressa à contre-cœur pour s'asseoir sur le matelas moelleux.

— Juste quelques minutes, d'accord ? Murmura-t-elle, tout en lui grattant le sommet du crâne. La féline se mit à ronronner de plaisir, et quelques secondes plus tard elle sautait par la fenêtre pour atterrir sur l'herbe humide du jardin. Elle commença à trottiner en direction de la route, et à peine l'eut-elle atteinte qu'un chaton lui sautait dessus.

La chatte et la petite roulèrent contre le sol en se mordillant amicalement, puis commencèrent une course folle sur la route goudronnée.

Le quartier Bleiz était entièrement vide, et leurs coussinets martelant le sol ne faisaient aucun bruit. Elles étaient deux ombres qui se faufilaient entre les arbres et les voitures pour sortir du village. Atteindre la forêt était leur seul objectif. Depuis le décès de la grand-mère d'Elwina, elles ne faisaient que vagabonder sur les toits de la ville. Jamais le plein air ne leur avait autant manqué.

Mais alors que la chatte s'approchait de la barrière de sapins, la chatonne sur ses talons, un long hurlement les firent piler net.

Aux aguets, les félines ne firent pas un mouvement durant de longues secondes, tous leurs sens à l'affut. Immobiles sur leurs quatre pattes, elles respiraient lourdement à cause de la course qu'elles venaient de faire, et quelques gouttes de sueur luisaient sur leurs pelages.

Leur instinct leur envoyait des vagues de danger, pour les inciter à fuir le rapidement possible. Parce que ce hurlement, qu'elles venaient d'entendre, n'était pas celui d'un chien inoffensif et bien apprivoisé. Non, c'était celui d'un prédateur prêt à les dévorer sur place.

Quelque chose, au plus profond d'elles, surgit. Un loup. La chatonne restait là, et l'on aurait pu croire qu'elle était prête à se lancer sous les crocs du prédateur invisible. Mais son accompagnatrice la saisit par la peau du cou et se mit à courir en sens inverse, aussi vite qu'un animal de son espère pouvait le faire.

Ballottée dans tous les sens, la petite chatonne semblait être dans un état de transe, et ne reprit ses esprits que lorsque celle qui aurait pu être sa mère la lâcha sur le matelas devenu froid. La féline tremblait, et se dirigea vers la fenêtre pour cracher hargneusement. Puis, elle s'allongea près du rebord, poils hérissés, visiblement décidée à monter la garde jusqu'au petit matin.

Entièrement nue, Elwina se leva du lit pour s'approcher de sa chatte. Elle posa sa main sur son dos, d'un geste qui se voulait réconfortant, et ferma la fenêtre. Prenant cette fois-ci soin de mettre les volets.

Elle ne voulait plus voir cette foutue pleine lune. Peut-être que c'était ça, les premiers signes : la folie. Les hallucinations, les crises délirantes. Peut-être qu'elle devrait penser à voir un psy, et avec un peu de chance les médicaments psychiatriques feraient aussi effet sur son problème à elle.

La malédiction des chats noirsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant