Chapitre 14

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Roméo.

Elwina n'avait que ce nom en tête.

Ro-mé-o.

Sans trop savoir pourquoi, elle avait même relu le roman de Shakespeare qui avait rendu célèbre ce joli prénom. Et voilà que deux jours après sa rencontre avec le jeune homme, l'étudiante se trouvait là, sur les bancs de l'amphi, à dessiner ce garçon tatoué dans un coin de feuille.

Tout le monde avait sa petite spécificité, à Kerdoueziou :

Ascelin et sa famille lui faisaient peur.

Poséidon, Glaucos et Thétis l'hypnotisaient.

Berhed la mettait en confiance.

Lou l'amusait.

Cette fille, qui venait tous les jeudis à la bibliothèque, l'envoûtait sans raison apparente.

Toutes les personnes qu'elle croisait dans cette fichue ville faisaient naître en elle des émotions, sans qu'elle n'arrive à contrôler quoi que ce soit.

Mais avec Roméo... elle ne ressentait rien. C'était le vide total. Un néant si profond qu'avant de l'intriguer, il lui donnait l'impression de pouvoir respirer librement.

— Mademoiselle Catasson, vous qui semblez si intéressée par mon cours, et si vous veniez au tableau répondre à ma question ?

La brunette sortit immédiatement de sa rêverie, pour lever les yeux vers le professeur. Tout l'amphithéâtre s'était retourné vers elle, ce dont elle avait horreur. Cachant son malaise derrière sa tignasse, la jeune femme ferma son cahier, après y avoir jeté un rapide coup d'œil. Elle cilla légèrement, étonnée de voir que son imagination avait décidé de transformer Roméo en une sorte de personnage mi-zombie mi-Grande Faucheuse. Mais sans y prêter davantage attention, la jeune femme se leva pour exécuter la demande de son enseignant.

Lorsqu'elle rentra à la bibliothèque, ce soir-là, Elwina était particulièrement préoccupée. Sa petite voix fusait tant dans sa tête qu'elle n'avait même pas réussi à lire dans le bus. Et dès qu'elle avait posé un pied par terre en sortant du véhicule, sa chatte noire s'était mise à la suivre en miaulant d'un air énervé.

— Elle veut peut-être une gamelle d'eau ?

Berhed était arrivée derrière sa jeune apprentie, la mine préoccupée. En effet, la féline de cette dernière n'avait cessé de montrer des signes d'anxiété depuis son arrivée. Elwina soupira, démunie :

— Elle n'a pas soif.

— Qu'est-ce qu'elle a, alors ?

— Très bonne question.

La brunette grimaça à cette réponse. Elle avait l'impression qu'on lui lacérait l'esprit à coups de griffes.

Bien sûr, qu'elle savait ce que l'animal voulait.

Sortir.

Et les pulsions de la bête pouvaient parfois être incontrôlables.

— Elle s'appelle comment ?

Elwina mit quelques secondes à comprendre que Berhed parlait de la chatte.

Comment elle s'appelait ? Elle ne s'appelait pas. Elle n'avait pas de nom.

— Wi, mentit-elle, comme elle avait tant l'habitude de le faire. La brunette mentait tant à propos de ce chat, depuis sa plus tendre enfance, que parfois elle-même avait du mal à définir les limites de la réalité.

— Ça signifie quelque chose ?

La jeune femme haussa les épaules. Elle aurait pu dire non, mais ça aurait été mentir à nouveau, ce qu'elle n'était pas sûre de pouvoir faire sans être découverte. Face à elle, son employeuse n'insista pas. Au lieu de ça, elle s'accroupit pour tendre sa main vers la féline ébène :

La malédiction des chats noirsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant