Chapitre 23

300 54 19
                                    

— Tu veux le plan de Kerdoueziou ?

Elwina avait acquiescé sans un mot. Depuis quelques jours, elle avait l'impression que Berhed se méfiait d'elle. La bibliothécaire passait davantage de temps à ses côtés, à scruter ses mouvements. Ou bien, tout était parfaitement normal, et Elwina avait viré dans la paranoïa.

La jeune femme savait pertinemment que la soixantenaire était en capacité de répondre à sa demande. Elle lui avait déjà présenté un plan du village, par le passé. Il suffisait de lui remontrer le même, accompagné en détail de la forêt et des terres avoisinantes. La brunette souhaitait juste se rendre compte de la superficie des bois, qui jusqu'ici lui paraissaient immenses.

Berhed était partie en trottinant entre les étagères, pour revenir quelques minutes plus tard avec une cartographie moderne et colorée de Kerdoueziou. Elle semblait être à l'échelle, chaque maison était détaillée, et elle était légendée par couleurs selon les différents quartiers.

— Tu peux la garder, je te la donne.

Elwina s'était emparée de la feuille, d'un air imperturbable. Le croquis s'arrêtait aux lignes de menhir qui entouraient le village, et au Moger. C'était, pour peu dire, très décevant, en comparaison à ce qu'elle avait quémandé.

Pour autant, l'étudiante n'avait pas réitéré sa demande, considérant qu'elle avait été bien assez claire la première fois. Si Berhed ne lui fournissait pas la carte qu'elle réclamait, c'était qu'elle ne voulait pas le faire, pour une raison qui lui était jusqu'ici inconnue. Elwina avait rangé le papier dans son sac, bien qu'elle n'en ait pas vraiment besoin : la jeune femme avait eu le loisir d'étudier elle-même le village, et connaissait depuis quelque temps les noms des 10 quartiers.

Mac'h, Bleiz, et Louarn, constituaient le « clan des fermiers », comme le lui avait expliqué Poséidon.

Elfennel, Korrigan, Avel vras, et Drouiz, constituaient quant à eux le « clan des intellectuels »

Morganez, Suner gwad, et Arrizh étaient donc le « clan des pêcheurs ».

Cette histoire de différents clans au sein d'un même village —minuscule qui plus est— était vraiment abracadabrante à son goût. Elle avait l'impression de se retrouver au milieu des magouilles politiques d'un bon vieux roman fantastique. Malheureusement, ce n'était que le reflet de tensions existantes au sein de cette population traditionaliste.

Elwina avait terminé ses tâches, avant de saluer son employeuse d'un geste de la main, et de quitter les lieux sans en demander plus. Dès qu'elle fut seule dans une petite ruelle, Wi était apparue derrière elle, en miaulant bruyamment. Vidée de toute énergie à cause du manque du sommeil, la brunette avait soupiré, avant de se baisser pour prendre la chatte dans ses bras. Son pelage ébène glissait soyeusement entre ses doigts, et la jeune femme se mit machinalement à gratter le haut de son crâne.

Les griffes de la féline s'enfonçaient régulièrement dans ses épaules, entaillant sa chair. Mais l'habitude était telle que la jeune femme s'en rendait à peine compte ; la douleur lui donnait même l'impression de vivre davantage.

Sortir.

L'animal en elle n'était pas un être complètement détaché de son corps et de son esprit. C'était une partie d'elle à part entière, un peu comme un morceau de personnalité qu'on essaie de cacher aux autres, mais qui refait surface lorsqu'il est trop titillé. Lorsqu'elle était absente physiquement, sa partie féline ne s'endormait pas pour autant, et prenait facilement le contrôle de ses pensées, souvent par des mots isolés ou des phrases simples.

— Non, je ne veux pas que tu sortes. Avait grommelé la brunette d'une voix enrouée. Se rajoutant à sa paranoïa, c'était peut-être la schizophrénie qui s'emparait d'elle.Ou même d'un trouble dissociatif de l'identité.

La malédiction des chats noirsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant