Chapitre 38

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Elwina n'avait pas jugé important d'aller à la pharmacie, pour acheter de quoi soigner son poignet. La jeune femme s'était contenté de reprendre normalement le cours de sa vie.

Elle avait recroisé Poséidon, le lendemain. Le pseudo-dieu grec avait posé sur elle un regard insistant, sans qu'elle daigne y répondre. Ce garçon était trop paradoxal, et elle refusait de se casser la tête à essayer de comprendre son comportement sans queue ni tête.

Le surlendemain, Roméo avait déjeuné avec elle au restaurant universitaire. Le garçon aux cheveux blancs n'avait quasiment pas parlé de tout le repas. La métamorphe avait aperçu chez lui une tristesse si profonde, qu'elle s'était sentie obligée de parler, pour le réconforter.

Ça n'avait pas marché.

Lors de son TD, ce vendredi après-midi, la brunette griffonnait comme à son habitude dans un coin de son cahier. Perdue dans ses propres pensées, elle entendait à peine ce que le professeur disait. Il y avait, devant elle, cette fille à qui Poséidon avait donné son numéro, il y a quelques semaines. L'étudiante était, il y a peu, venue voir Elwina pour lui demander pourquoi le brun ne répondait pas à ses messages. La jeune femme n'avait pas pris la peine d'expliquer à son interlocutrice qu'elle n'était qu'un pion insignifiant sur l'immense échiquier du garçon.

Son attention s'était tout à coup reportée sur ses croquis en bas de page. Elle était justement, sans même s'en rendre compte, en train de représenter Poséidon sous la forme d'un triton.

Elle fronça les sourcils, étonnée par ce choix. Surtout en se souvenant du portrait qu'elle avait offert à l'intéressé.

Puis, ses yeux s'étaient dirigés sur le griffonnage effectué lors de son dernier. Celui-là non plus, elle ne s'en souvenait pas. C'était la représentation d'une femme, qu'elle avait croisé à la boulangerie avec son mari deux jours plus tôt. Habillée d'une robe noire, la quarantenaire était littéralement en feu, et chevauchait un étalon pommelé.

Elwina avait tourné les pages. Toutes les interlignes étaient comblées de dessins. Chaque page, chaque petit recoin de blanc avait été utilisé. La brunette avait l'impression de découvrir le carnet à croquis d'une autre personne, et chaque nouvelle esquisse suscitait en elle un frisson qui mélangeait émerveillement et effroi.

Il y avait une sirène.

Un vampire.

Un cheval.

Un garçon qui contrôle le feu.

Un elfe.

Ça ne s'arrêtait pas. Ça ne s'arrêtait jamais.

Depuis le début de l'année, chaque page était gribouillée, et chaque illustration représentait les habitants de Kerdoueziou sous une forme plus ou moins surnaturelle. On aurait dit le gigantesque bestiaire d'un univers fantastique complet.

Prise dans son élan, la jeune femme avait sorti tous ses cours de son sac, pour les étaler sur la petite table de l'amphithéâtre.

Il n'y avait pas une seule feuille qui avait été dénudée d'un petit dessin. 

Un zombie.

Un loup.

Un renard.

Une sorcière.

Un lutin.

Après quelques minutes d'observation rapide, elle avait tout rangé, d'un seul coup. La vision de ces œuvres lui donnait des vertiges fiévreux.

Elle aurait pu se croire folle. Sous l'emprise d'hallucinations.

Elle aurait pu. Mais à présent, la jeune femme savait que ça n'était pas le cas.

La malédiction des chats noirsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant