Chapitre 36

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Vingt-trois heures. Il faisait nuit noire, dehors, et la pleine lune était cachée par les nuages gris qui obstruaient le ciel.

Elwina n'avait pas voulu écouter Poséidon : l'espoir était une chose futile et bien trop douloureuse pour qu'elle daigne s'y accrocher. Le jeune homme avait dû jouer avec elle, en lui conseillant de faire un tour dans la forêt. Il jouait tout le temps avec elle. Et avec tout le monde. Comme si ceux qui l'entouraient n'étaient que les vulgaires pions d'un échiquier, dont il n'était même pas le roi, mais le propriétaire.

Elwina n'avait pas voulu écouter Poséidon, mais après des heures de rumination, la jeune femme n'avait pas pu s'empêcher de quitter son foyer. L'air, dehors, était humide. Sa féline remuait au fond d'elle, désireuse de sortir gambader. Promis, elle la laisserait sortir sur le chemin du retour.

Elle connaissait tant le chemin pour se rendre jusqu'à la forêt, que le trajet lui avait semblé durer quelques secondes à peine. Après avoir passé le Moger, Elwina était arrivée dans le cœur des bois. Malgré l'heure tardive, nombre d'oiseaux chantaient encore, et ses sens affinés entendaient multe animaux nocturnes s'activer autour d'elle.

La jeune femme voulut d'abord se rendre à Forest, ce grand chêne qui lui était tant familier. Mais à mi-chemin, Wi, qui était restée derrière elle depuis le début, l'avait dépassée en trottinant. L'animal ébène voulait visiblement l'emmener dans une direction opposée. Sachant qu'il ne fallait mieux pas contrarier la chatte en cette pleine lune, la jeune métamorphe avait soupiré, avant de dévier sa trajectoire.

Les arbres étaient pour la plupart dénudés de feuilles, mais la forêt restait plongée dans une noirceur presque inquiétante. Même avec sa vision nocturne, Elwina ne voyait pas très bien ce qui l'entourait.

Chacun de ses pas faisait craquer les feuilles mortes qui drapaient le sol humide. La forêt n'était jamais silencieuse, ce soir-là tout particulièrement. La jeune femme inspira longuement, permettant à son olfaction de se délecter deses odeurs de terre, de bois, et d'humus, qui l'entouraient.

Le vent lui soufflait dans le dos. Ses instincts de prédateurs s'en satisfaisaient pleinement : aucune proie ne la sentirait arriver à l'avance.

Elle avait marché de longues minutes durant, négligeant le temps qui passait. Wi était retournée derrière elle, comme si la féline cherchait à couvrir les arrières de sa jeune maîtresse en cas de danger.

Comme s'il y avait un danger.

Elwina n'était jamais venue dans ce coin-là de la forêt. Cette dernière semblait ne jamais se terminer, et la brunette se souvint qu'elle n'avait d'ailleurs jamais réussi à en dénicher une carte.

Ce qu'elle sentait, par ici, ne lui était pas inconnu. Un frisson lui parcourt l'échine, et elle se mit à humer l'air, en alerte. Un éclair de lucidité avait alors traversé son esprit : il y avait, dans ce coin des bois, exactement la même odeur que dans le quartier Bleiz. Cette senteur de prédateur qui l'angoissait tant à ses débuts dans le village, et à laquelle elle s'était accoutumée petit à petit.

Perdue dans ses pensées, Elwina regardait machinalement ses pieds tout en continuant à errer.

C'est donc les vêtements qui gisaient à terre que la brunette avait aperçu en premier. Des habits soigneusement pliés, sur lesquels elle avait failli marcher. L'odeur de leur propriétaire s'ancrait tout à coup dans ses narines. Elle était encore toute fraîche.

Trop fraîche.

Soudain, Elwina savait très exactement ce qu'elle allait trouver face à elle.

Aveugle.

La malédiction des chats noirsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant