Chapitre 18

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— Je veux la réexaminer.

En ce lundi matin, Ascelin ruminait dans le bureau d'Armel.

— Ton bon vouloir n'est pas le fil conducteur de mon travail.

Face à cette réponse, le blond avait pris une grande inspiration, histoire de rester calme. Armel, quant à lui, avait baissé ses lunettes —qu'il n'utilisait que pour lire— pour observer son interlocuteur, qui continuait à parler :

— Mais il faut le faire !

— On en a déjà parlé après la soirée. Je ne pense pas qu'elle nécessite qu'on réunisse le conseil pour elle.

— Tu n'étais pas là. Avait renchérit le jeune homme, en le pointant du doigt d'un geste accusateur. Tu n'as pas le droit d'avoir le monopole de la décision sur quelque chose que tu n'as pas vu !

— Ne me parle pas sur ce ton.

— Et toi, arrêtes d'être buté ! Demande à mon père. Demande à n'importe qui. Demande à ta femme, même ! S'il le faut, demande à ce putain de Poséidon ou à ce taré de Roméo ! Demande-leur !

Armel avait soufflé, tout en poussant, sur le rebord de son bureau, tous les documents dont il s'occupait. Ascelin était un garçon calme et distant, mais comme un volcan endormis, ses éruptions n'en n'étaient que plus dangereuses.

— J'ai déjà eu l'avis de ton père. J'ai eu l'avis de ma femme. J'ai eu des dizaines d'avis depuis ces dernières vingt-quatre heures. Et oui, tout le monde est perturbé par votre comportement à tous les deux durant la soirée.

— Notre comportement ? Avait beuglé Ascelin, tout en appuyant bien sur le pronom possessif. Bien sûr, c'est plus facile lorsque c'est moi le problème !

La peau d'Armel, d'ordinaire noir charbon, avait subitement perdu quelques tons. Cloué sur sa chaise, il luttait pour regarder son jeune poulain dans les yeux.

Ascelin mit quelques secondes à comprendre ce qui se passait.

Son aura tout entière avait envahi la pièce, du sol au plafond. Un mélange de regrets et de panique prit place dans ses yeux, alors qu'il résorbait le fluide opaque, ce qui lui prit une seconde à peine.

— Désolé.

La mâchoire d'Ascelin était si crispée que ça lui faisait un mal de chien. Finalement, Armel avait probablement raison : c'était lui, le problème. Il l'avait toujours été, après tout, donc pourquoi la situation d'Elwina serait-elle une exception ?

— Qu'est-ce qu'il vient de se passer, là ?

Le blond regardait son patron d'un air penaud. Ses épaules s'affaissèrent, et il se laissa tomber sur la chaise la plus proche :

— Ecoute, je sens que quelque chose cloche, avec Elwina. Je ne sais pas, si on ne la réexamine pas, peut-être qu'on peut approfondir ses antécédents familiaux ?

— Je ne peux pas la réexaminer moi-même, c'est en dehors de mes compétences.

— Elle a vu mon aura. Elle aime Kerdoueziou. Elle est complètement flippée par nous. Elle est sous le charme de Poséidon.

— Elle n'a pas seulement vu ton aura. Avait souligné l'homme, avant de continuer sur un ton davantage accusateur :

— Elle a touché ton aura.

— Parce que tu crois peut-être que je n'avais pas remarqué ? C'était l'équinoxe. Je ne contrôlais plus rien.

Armel avait reniflé, l'air de dire que l'excuse était trop facile, mais n'ajouta rien. De son côté, Ascelin était complètement démuni. Oui, Elwina avait touché son aura. Elle l'avait touché, et elle n'avait rien dit. Elle n'avait pas eu peur, elle n'était pas partie en courant, elle n'avait pas pleuré. Non, c'était même tout le contraire. Et ça, c'était bien la chose la plus inquiétante qui soit arrivée jusqu'ici. Le gestionnaire du quartier Bleiz semblait penser la même chose, sans en toucher un mot. Chaque chose en son temps.

La malédiction des chats noirsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant