Chapitre 58

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Il en avait rêvé depuis sa plus tendre enfance. De quelqu'un qui le comprendrait. De quelqu'un qui ne le jugerait pas. De quelqu'un comme lui.

D'une âme-sœur.

Et maintenant, il savait que tous les rêves étaient destinés à se réaliser, comme on le faisait croire aux petits enfants.

Maintenant, il y avait Elwina.

Il y avait cette fille, avec une aura de la même puissance que la sienne. Cette fille misanthrope, qui se réfugiait dans les livres, et se méfiait des gens. Il y avait elle, qui, par sa simple présence, lui donnait l'impression d'enfin être à sa place.

Ils n'en avaient pas parlé. Que dire, après tout ? Tous deux savaient. Et tous deux voulaient garder cette information pour eux, rien que pour eux. Quelques jours s'étaient déroulés, comme d'habitude. Enfin, presque. Maintenant, Elwina disait bonjour à Ascelin, lorsqu'elle le croisait le matin. Et il faisait de même, se demandant si la joie de la jeune femme avait atteint le même apogée que la sienne.

Ce jour-là, alors qu'il s'était réveillé, le soleil tapait l'atmosphère de ses rayons dépourvus de chaleur. Il avait vu la brunette partir au travail, vêtue d'un simple pull malgré ce mois de janvier. Contre toute attente, la neige était arrivée en fin d'après-midi. Depuis plus d'une heure, une fine pellicule immaculée recouvrait Kerdoueziou. Connaissant les horaires de la jeune femme, qui faisait aujourd'hui la fermeture de la bibliothèque, le blond s'était donc décidé à aller la chercher, manteau en main.

Il était arrivé cinq minutes avant la close. Elwina et Berhed se discutaient à un autre bout du bâtiment, et ne l'avaient pas entendu arriver.

— Il manque un livre de collection.

C'était la voix d'Elwina.

— Ah bon ? Montre-moi, montre-moi, je n'ai pourtant rien vu d'anormal.

Quelques pas sur le parquet. Silence. La brunette avait mené son employeuse tout droit vers la petite niche où gisait l'inscription « La malédiction des chats noirs ». Elle avait jaugé la réaction de son interlocutrice, en vain : Berhed jouait trop bien la comédie, feignant une réelle surprise.

— Ça alors, je pensais avoir débarrassé l'endroit.

Elle pensait, surtout, que personne n'allait chercher la dite œuvre, donc s'intéresser à l'emplacement vide. Il lui avait suffi d'un regard en coin à l'étudiante, pour savoir que cette dernière ne partirait pas sans réponses.

— C'était une vieille œuvre, très précieuse, elle a été volée il y a des années.

— Il faut la réclamer.

Le ton de la jeune femme avait été sec, mais la bibliothécaire avait balayé son idée d'un geste de la main.

— C'était une ancienne amie, je ne l'ai pas revu depuis. Certaines personnes ont besoin de refaire leur vie, de temps en temps. Je n'ai jamais compris pourquoi elle avait pris avec elle ce bouquin.

La vieille femme s'était tue, mais, voyant que son interlocutrice n'était pas convaincue, elle avait repris en grommelant :

— Allons, allons, c'est de l'histoire ancienne. Il faudra réaménager cette étagère.

— Comment elle s'appelait ?

— La voleuse ? Berhed avait semblé réfléchir quelques instants, avant de lancer :

— Malone Lekozh. Mais ne t'inquiète pas, ce livre n'avait aucun intérêt pratique, il était illisible.

Berhed était partie. Elwina était restée plantée là quelques secondes, sentant l'espoir quitter peu à peu son corps.

La malédiction des chats noirsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant