Chapitre 29

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— Salut, Elwina.

Elwina ne s'étonnait même plus de voir Roméo débarquer au restaurant universitaire, certains midis. D'ailleurs, elle ne se crispait plus à sa vue, comme les premières fois où il venait déjeuner avec elle. En réalité, la jeune femme devait admettre qu'elle s'accommodait très bien à la présence du garçon.

— Tu vas bien ?

Elle avait hoché la tête, de manière sincère, et Roméo lui avait souri en retour. Le garçon avait posé son plateau sur la table, avant de se laisser choir sur sa chaise. Il semblait à bout de force.

— Toi, tu vas bien ?

Le jeune homme avait regardé la brunette, étonné qu'elle lui pose cette question. S'intéressait-elle réellement à lui, ou prenait-elle de ses nouvelles par pure politesse ?

La réponse était pourtant évidente, car Elwina ne marquait ni intérêt, ni respect, pour les règles conventionnelles du vivre-ensemble.

— Je viens d'avoir un cours avec des premières années. Une classe de littéraire, quasi-exclusivement féminine... toi qui lis beaucoup, je suis vraiment un bookboyfriend sur pattes ?

Elwina avait ricané intérieurement. Elle devinait sans mal que Roméo ne connaissait ce mot que depuis peu, et était dépassé par sa signification. Devinant ce qui se passait dans la tête de son interlocutrice, le jeune homme avait renchérit :

— Je les ai entendues en parler à l'inter-cours. J'aurais aimé ne jamais googler ce mot.

Cette fois, la brunette ne put retenir le rictus qui fissura sa mâchoire.

— Alors, c'est si vrai ?

Roméo semblait réellement dépité, et espérait visiblement que la brunette lui assure que c'était faux.

— Tu ressembles probablement à leurs bookboyfriends à elle. Regarde-toi : tu as les cheveux blancs, la peau laiteuse, des tatouages partout, des piercing, des bijoux, tu t'habilles bien, tu es mystérieux, et tu es leur professeur ce qui rajoute les petits fantasmes de l'inaccessibilité et l'interdit. Navrée pour toi.

L'intéressé s'était pincé l'arête du nez. Sentant qu'il était très nerveux, Elwina avait renchérit :

— Si ça persiste, dis-leur que tu as quelqu'un, même si c'est faux.

C'est à ce moment-là qu'elle remarqua ce tic : la main que Roméo avait portée au collier, qui était caché sous son tee-shirt. Il avait fébrilement touché l'objet, de manière inconsciente. Et surtout, il avait l'air mélancolique, et cette émotion sautait aux yeux, tellement il était habituellement compliqué de déchiffrer les affects du garçon.

Une pensée avait alors traversé l'esprit de la jeune femme.

Se pouvait-il que Roméo ait quelqu'un ? Inexplicablement, elle avait l'envie fugace de connaître la réponse à cette question. Mais l'intéressé avait repris la parole, la coupant court dans ses pensées :

— Si je me dis déjà casé, ça risque d'accentuer le fantasme de l'interdit et l'inaccessible, tu ne crois pas ? Surtout si elles ne rencontrent jamais la personne en question.

— Pas faux.

Ils s'étaient remis à manger, chacun de leur côté, jusqu'à ce que le garçon demande :

— Alors, Elwina, c'est quoi ton style de bookboyfriend ?

Elle l'avait regardé en plissant les yeux, troublée.

— Tu m'as dit que j'étais le stéréotype de leur style à elle, mais pas du tiens.

— Ah. Laisse tomber.

La malédiction des chats noirsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant