Chapitre 25

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Elwina n'était pas allée à l'apéro-dinatoire prévu par Poséidon. Elle n'avait même pas demandé le numéro du brun à Ascelin, pour le prévenir de son absence. La jeune femme s'était contentée d'avertir Roméo le midi-même. En effet, ce dernier avait visiblement pris l'habitude de se joindre à elle pour le déjeuner de temps à autre. La brunette, pour l'instant, s'accommodait de sa présence occasionnelle.

C'était étrange, de ne plus être continuellement bercé par la solitude.

Étrange, mais pas désagréable.

Son emploi du temps à la bibliothèque de Berhed était hebdomadaire et irrégulier. Et en ce début de semaine, l'étudiante ne travaillait pas, ce qui lui avait permis de passer dans une librairie après ses cours. Avec ses maigres économies —bien que grandissante grâce à sa vie à Kerdoueziou— la lectrice avait acheté cinq livres de Poche. Des histoires Young Adult sur lesquelles elle bavait depuis un certain temps déjà.

Elle était arrivée chez les de Fleuri en soirée, et après un dîner passé en présence du reste de la famille, la jeune femme s'était réfugiée dans sa chambre. Cependant, à peine fut-elle entrée dans la pièce, son humeur s'était assombrie. C'était un véritable capharnaüm, qui lui rappelait désagréablement le déroulement de la nuit dernière, qui avait été particulièrement éprouvante. Wi avait renversé les étagères, déchiqueté certains de ses vêtements, et s'était acharnée sur son gros grimoire qui trônait, toujours intact, dans un coin. Quelques taches de sang parsemaient çà et là ses affaires : la veille, sa féline avait également décidé de mettre son corps à l'épreuve en le griffant avec acharnement.

Comme si entailler la chaire d'Elwina allait permettre à son côté animal de sortir plus facilement. A cette pensée, la brunette avait machinalement frotté ses bras. Wi adorait griffer ses bras, et jamais aucune cicatrice n'y survivait : son métabolisme hors du commun était doté d'une capacité de guérison presque immédiate.

Rembrunis, la jeune femme avait posé ses nouveaux livres sur son lit, avant d'entreprendre de ranger toute sa chambre, ce qui lui prit une bonne demie heure. Après quoi, la lectrice avait observé le résultat, épaules voûtées.

La situation dérapait de plus en plus, et personne ne pouvait l'aider.

Malgré tous ses efforts, elle était inévitablement seule. C'était une fatalité dont elle ne pouvait se défaire. Elle était entravée par des chaînes invisibles, qui la tenaient écartée des autres, qui la maintenait prisonnière, qui les mettait tous hors de portée de ses crocs aiguisés.

D'humeur maussade, Elwina avait saisi un roman au hasard, avant de descendre au rez-de-chaussée. Pour la première fois de sa vie, être seule dans sa propre chambre la faisait suffoquer. Méfiante, la brunette s'était rendue dans le salon, heureuse de n'y trouver personne. Elle s'était confortablement assise dans le fauteuil le plus près de la cheminée, où un feu était allumé. La jeune femme s'était alors très rapidement plongée dans son livre, et happée par l'univers, elle s'était coupée du reste du monde. Il n'y avait plus qu'elle, et les personnages écrits sur le papier.

En réalité, Elwina n'avait jamais vécu. Elle ne faisait qu'exister à travers ces lignes d'encres couchées sur le papier. Parce que lire, c'était lui permettre de vivre autant de vies qu'elle le souhaitait, et qui ne pouvaient qu'être meilleures que la sienne.

Le feu crépitait dans la cheminée. Dehors, une pluie sauvage s'abattait sur la terre, dans un bruit infernal. Mais Elwina n'entendait rien. Elwina n'était plus vraiment ici. Elle était loin, très loin, mais la voix soudaine de Jacinthe l'avait brusquement fait revenir à la réalité.

— Ca vous dérange, si j'allume la télévision ?

La brunette avait sursauté, complètement désorientée. Dehors, il faisait nuit noire. Le feu de la cheminée n'était plus qu'un amas de braises rougeoyantes. Elle s'était tournée vers la nouvelle venue, le corps tout engourdi. La blondinette se tenait là, juste derrière elle, un faux sourire scotché sur son visage, et les bras croisés sur sa poitrine.

La malédiction des chats noirsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant