Chapitre 31

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Arrizh est le dernier quartier en date de Kerdoueziou. Fut un temps où, des siècles durant, Avel vras et Morganez cohabitaient entre eux sur l'île, seuls.

Jusqu'au jour où il arriva. Ce démon caché derrière une apparence angélique. Celui qui donna son nom au quartier qui lui fut donné. L'île était le meilleur endroit pour cette créature, et ce furent les enfants de la lune eux-mêmes qui cédèrent une part de leur territoire à ce nouvel habitant.

Les monstres s'amusent à vivre entre eux.

Arrizh est le dernier quartier en date, mais aussi le plus petit. Il est constitué d'une maison. Une seule bâtisse, construite à l'entrée de l'île juste après le pont, et entourée d'un immense terrain. Son habitant est le garde-chasse des territoires qui le succèdent, allez savoir pourquoi lui avoir offert cette place si stratégique.

Voilà les passages les plus importants du livre qu'Elwina avait emprunté en douce. Du livre qui s'était illuminé. La plupart des pages étaient composées d'anciens croquis, sur l'unique maison du quartier et son terrain. Les autres décrivaient le chamboulement politique qu'il y avait eu à Kerdoueziou, lorsque le village était passé de huit à neuf secteurs. Cela remontait à plusieurs dizaines, voire centaines d'années. Malheureusement, rien n'était daté.

En ce dimanche, la jeune femme avait décidé de passer sa pause-déjeuner sur la plage, qui se trouvait à quelques dizaines de mètres tout au plus de son lieu de travail. Assise en tailleur sur un banc, à distance respectable de la mer, la brunette croquait à pleines dents dans son sandwich. Elwina savourait la solitude dont elle pouvait jouir en ce lieu : même si la plage était collée au bourg du village, très peu de gens y passaient aujourd'hui. Probablement était-ce à cause du crachin qui humidifiait l'air. Elwina, elle, n'en avait rien à faire de la pluie. Sa peau était imperméable, après tout. Et son manteau aussi.

Alors qu'elle finissait tout juste de manger, la jeune femme avait senti une présence s'asseoir à ses côtés, à l'autre extrémité du banc. Insultant le nouveau venu dans sa barbe, la brunette ne lui aurait pas adressé un seul regard, si ce dernier n'avait pas commencé à lui parler :

— Tu ne voulais pas rentrer à la maison, pour le déjeuner ?

Elwina savait parfaitement que, depuis longtemps déjà, Ascelin avait compris à quel point elle avait besoin de passer du temps seule. C'est pourquoi elle n'avait pas répondu, attendant au contraire qu'il lui explique sa présence.

— Tu es vraiment amie avec Roméo et Poséidon, ou ils ne te laissent pas le choix ?

Ainsi, c'était ça ? De la jalousie ? De l'envie ? Ça aurait été bien ridicule qu'Ascelin soit tracassé par de telles émotions. Et fort heureusement, ça n'était pas le cas.

Vous saviez, que les émotions ont une odeur ? Et un goût, aussi, mais bien plus difficile à percevoir : il faut, pour ce faire, littéralement goûter son interlocuteur en lui léchant l'épiderme. L'odeur, elle, c'était une tout autre affaire : il suffit de la laisser flotter jusqu'à vous, et l'humer calmement.

Ascelin était particulièrement clair sur ses émotions, aujourd'hui. Les effluves de leurs arômes arrivaient en vagues dans l'odorat de la jeune femme. Comme s'il souhaitait qu'Elwina puisse les déchiffrer. Et il n'était ni jaloux, ni envieux, ni quoi que ce soit de similaire.

Il était inquiet.

— J'apprécie Roméo. Poséidon est un pot de colle ; mais je ne le déteste pas.

Elle ne voulait pas qu'il soit inquiet pour elle. L'ignorance du garçon sur la situation l'agaçait.

— Et Nyx ?

La malédiction des chats noirsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant