La malédiction des chats noirs

PARTIE 2

1er août 1601

Je suis seule.

Seule.

Seule.

Seule.

Parfois, j'ai envie de m'arracher les griffes. De m'écorcher les poils. De brûler mes moustaches. Juste pour voir ce que ça fait de ne plus être seule. D'être comme les autres : une fille au milieu de son village, qui va au lavoir trois fois par semaine, qui fait chaque jour les repas pour toute sa famille, et qui va aider ses frères aux champs. Mais non, impossible. J'ai essayé pourtant. Je ne peux pas.

Je suis seule.

Seule avec ce livre indéchiffrable qu'une vieille folle m'a donné il y a quelques mois. « Tu pourras le lire quand tu seras prête ! » Disait-elle. Foutaises. Déjà, je suis la seule du village à savoir lire et écrire, et si j'y arrive c'est parce qu'elle me l'a appris. Ensuite, ces langues et ces alphabets qui tapissent les vieilles feuilles de ce bouquin, je ne sais pas d'où elles sortent mais, mazette, ce n'est pas du français. On l'a brûlé il y a quatre jours. La vieille folle. C'était une sorcière, qu'ils disaient. La fille du démon, l'enfant de Satan venu sur terre pour nous corrompre. Et quelquefois, je me dis que si elle était la fille du diable, j'en suis l'incarnation. Alors j'ai hurlé avec les autres aux pieds du bûcher « à mort ! à mort ! », et au fond de moi je savais très bien que ces mots m'étaient adressés. A moi, pas à elle.

Je suis seule.

Et s'il y a une chose que je sais c'est que la situation peut empirer. Je me contente pour l'instant de me transformer en chaton les nuits de pleine lune. C'est le seul moment où je ne maîtrise pas la métamorphose. « C'est normal », m'avait un jour soufflé la vieille folle. J'avais eu envie de lui cracher au visage, mais je n'avais pas osé. J'évitais les pics d'humeurs, ça pouvait la déclencher. C'est Bastet qui l'a écrit. La seule de ce grimoire que j'ai réussi à lire, c'est Bastet. Et elle a dit de faire attention.

Elle a dit.

Elle a dit.

Elle a dit.

Attention !

Peirinetta Raibauda.