Chapitre 47

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Il faisait assez froid à Kerdoueziou pour qu'Elwina commence à prendre l'habitude de quitter sa chambre, et aller lire devant la cheminée. Elle aimait tout particulièrement y passer ses soirées, seule, alors que les de Fleuri vaquaient à diverses occupations.

Or, contre toute attente, en ce mardi soir, Jacinthe l'avait rejoint. La blondinette s'était écroulée sur le canapé en soupirant, avant de se retourner vivement vers la lectrice :

— Tu as vu Lou, cette semaine ?

Le rouquin était un rat de bibliothèque. Évidemment, qu'Elwina l'avait vu.

— Oui.

— Je ne le croise plus ! À croire qu'il m'évite ! Tu es amie avec lui, non ?

Non.

— Tu, hum... la lycéenne rougissait a vu d'œil. Tu penses que j'ai une possibilité de lui plaire ? Ma question est idiote, je sais, enfin, je me disais, tu pourrais lui demander ? Mine de rien ? Tu es la seule personne que je connaisse qui est amie avec lui. Tu sais, Lou, je l'aime bien. Ça fait longtemps, on était dans le même collège ! Il était bien plus âgé que moi bien sûr, mais il a toujours été si mignon, enfin, tu sais...

Elwina avait décroché. Elle s'étonnait, d'ailleurs, que sa concentration ait tenu jusqu'ici. La jeune femme allait se replonger dans son livre avec nonchalance, lorsque la voix énervée de Poséidon lui revint en mémoire :

« Tu ne fais vraiment aucun effort ! »

Elle avait crispé sa mâchoire, si fort que ses dents avaient grincées. La brunette avait relevé ses yeux noirs vers Jacinthe, prête à reprendre le cours de son flot de paroles.

Faire un effort.

— ... aux échecs depuis ses sept ans. Tu sais j'ai essayé rien que pour lui de m'y mettre, mais les jeux de société déjà que ça n'est pas trop mon truc, alors je te raconte pas l'angoisse quand en plus c'est un jeu long et stratégique ! Et puis, en plus, j'avais...

C'était insupportable. L'attention d'Elwina se remettait déjà à virevolter vers ses propres intérêts. La jolie blonde lui avait fait arrêter son livre en plein milieu d'une phrase, ce qui était extrêmement frustrant. Et si elle baissait les yeux, là, pour finir les quelques lignes ?

La page.

Le chapitre, même.

Faire un effort.

Elwina, à défaut de réussir à afficher un sourire sur son visage, avait reposé ses yeux sur celui de son interlocutrice.

— ... j'avais treize Playmobils roux, tu te rends compte ? Et puis...

Pourquoi elle parlait de Playmobils ?

Elwina avait l'impression d'avoir manqué une nuit entière de sommeil, et laissa son dos retomber lourdement sur le dossier moelleux du fauteuil.

S'intéresser aux autres était au-dessus de ses forces. Elle avait essayé de sourire, encore ; sans succès, encore. Son attention refusait littéralement de se focaliser sur la voix féminine.

Faire un effort.

Il fallait qu'elle sorte d'ici.

Ça coûtait beaucoup, beaucoup trop d'énergie de faire des efforts. Adoptant son habituel visage marmoréen, Elwina s'était replongé dans sa bulle. Elle avait rouvert son livre, et retrouvé la ligne où elle s'était arrêtée, pour reprendre sa lecture là où elle en était.

— Elwina ? Tu m'écoutes ? Je suis censée faire quoi ?

— En parler au concerné, pas à moi. Avait-elle marmonné dans sa barbe, sans relever les yeux de sa lecture. La brunette n'avait donc pas vu la mine déconfite que la lycéenne avait affichée. Le voile d'incertitude qui était passé dans ses yeux marron, d'habitude si confiants.

La malédiction des chats noirsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant