Chapitre 48

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— Tu n'es pas laid.

C'est ce qu'Elwina avait dit à Roméo, quelques jours plus tard. Le jeune homme était passé devant son arrêt de bus, un beau matin, et l'avait donc prise au passage.

Sans décrocher son visage de la route, le garçon aux cheveux blancs avait légèrement accéléré. Un certain temps avait beau s'être passé depuis leur dernière conversation, il savait parfaitement à quoi la jeune femme faisait allusion.

— C'est ce que ceux qui ne me connaissent pas s'entêtent à répéter.

Cette phrase aurait pu être blessante, mais la brunette s'était contentée de hausser les épaules, nullement vexée.

— Objectivement, tu es physiquement beau.

Le garçon, en souriant, avait soufflé.

— Je n'ai jamais réussi à m'habituer à ce corps.

À ce corps ? Elwina avait dévisagé son interlocuteur, du coin de l'œil. Sous-entendait-il qu'il n'avait pas toujours eu cette silhouette élancée et athlétique, ces cheveux blancs comme neige, ces yeux de glace ?

— Qu'est-ce c'est, exactement, être zombie ?

La jeune femme ne l'avait pas remarqué jusqu'ici, mais l'allure du véhicule dépassait à présent le double de la vitesse autorisée.

Et Roméo pila. Il avait écrasé la pedale de frein, si fort que ce fut un miracle que les airbags ne se déclenchent pas sous le choc. Elwina fut projetée en avant, et la ceinture de sécurité lui coupa le souffle, tout en lui cillant le cou. Voilà qu'ils étaient arrêtés, à présent. Au milieu de la route. Roméo avait repassé la première vitesse, et sa voiture avait tout doucement recommencé à rouler, pour tourner sur un petit chemin de terre qui se trouvait là. Ils continuèrent un certain temps, jusqu'à s'arrêter de nouveau, au milieu de nulle part.

— La question n'est pas ce que c'est, d'être un zombie, mais comment on le devient.

— Tu es un immortel, donc...

— Donc, pour l'être, je suis mort à un moment donné. Il avait pris une grande inspiration avant de continuer :

— Les sirènes meurent noyées. Les vampires meurent vidés de leur sang. Ensuite, ils ressuscitent, en quelque sorte.

Roméo était sorti de la voiture. Il manquait d'air. C'était ironique. Il avait commencé à rire, mais ravala cet élan.

Elwina l'avait suivi. Sous leurs pieds, l'herbe encore gelée des champs se cassait en un millier de craquements. La voix de Roméo l'avait tiré de sa contemplation du paysage :

— Et moi, alors ?

Il avait haussé la voix, et écarté les bras, un air de folie grave sur le visage.

— Pour devenir zombie, Elwina, tu sais, il ne faut pas mourir. Il faut agoniser.

Agoniser.

Agoniser. Agoniser. Agoniser.

Roméo s'était violemment pris les tempes entre les mains, tout en se pliant en deux, alors que légion de flashes, faits de sang et d'ombre, refaisaient surface.

Le garçon avait fini par se redresser. Une goutte de sueur coulait le long de son front immaculé, et il avait repris la parole, d'une voix parfaitement maîtrisée :

— Il faut rendre l'âme dans de telles souffrances, que par un élan de préservation, la nature réanime désespérément votre corps. L'âme, elle, reste perdue pour l'éternité. Voilà ce que c'est être un zombie, Elwina, : c'est être un mort-vivant.

La malédiction des chats noirsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant