Chapitre 5 : Natsuko

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Herenui

-« Mais qu'est ce qui t'as pris ?! » s'exclama Manava. « Tu aurais pu te faire tuer ! Surtout dans ton état ! Tout ce temps passé à prendre soin de toi aurait été du gâchis !

- Maman, calme-toi » tempéra Raurii, cependant elle se tourna vers Herenui et continua « Mais tu nous as fait peur. Tu es blessée et fatiguée. Heureusement qu'ils ne s'attendaient pas à ce que tu sois aussi douée et que leur capitaine est arrivé à temps. Sa proposition était étrangement avantageuse pour toi mais je suis heureuse que tu aies pu t'en sortir » dit-elle avant de l'étreindre puis de la relâcher.

-« Je suis désolée... » répondit la jeune guerrière en baissant les yeux, toute penaude. « Quand elle est tombée à côté de moi et que j'ai  vu le gardien prêt à abattre son épée, j'ai agis sans réfléchir. Je ne voulais pas vous inquiéter... »

Elle senti un liquide chaud couler le long de sa jambe gauche. Elle constata que sa blessure s'était rouverte, ce qui n'échappa pas non plus à la doyenne. Cette dernière la força à s'assoir et entreprit de refaire un pansement.

 Entre temps, certaines Hokories étaient venues s'occuper de leur cadette, qui avait repris ses esprits. D'autres inclinèrent leur tête devant Herenui, et bien qu'elle ne comprit pas leurs paroles, elle en déduit qu'il s'agissait de remerciements.

 Le calme revint petit à petit. Les autres démones se rendormirent tandis que les orientales se regroupèrent dans un coin et discutaient à voix basse. Manava continuait de pester contre la jeune fille, mais on pouvait sentir dans sa voix plus de soulagement que de réelle colère ou de sévérité.

 Une fois que Raurii et elle eurent terminés le nouveau bandage, elles souhaitèrent bonne nuit à l'apprentie et regagnèrent leurs paillasses. Cette dernière ne tarda pas à les imiter mais ne parvint pas à trouver le sommeil de suite. Elle se remémora les événements de la soirée. Elle ne comprenait pas les actions du commandant du navire. Ni son sourire carnassier lorsqu'il avait quitté la cale. Que pouvait-il bien manigancer? Elle avait beau retourner le problème dans tous les sens, rien ne lui venait à l'esprit. Et c'est sur cette question troublante que la démone s'assoupit.

Lorsqu'elle ouvrit les yeux le lendemain matin, elle fut surprise de tomber nez à nez avec une touffe de cheveux noir ébène. Elle, qui s'entraînait à être toujours aux aguets, n'avait pas senti l'intrus se glisser dans sa paillasse. Elle mit cette erreur sur le compte de la fatigue accumulée ces derniers jours, mais se promit d'être plus vigilante à l'avenir. Elle baissa son regard et vit la hokorie qu'elle avait sauvé hier blottie contre elle. Sa joue gauche était toujours enflée par le coup qu'elle avait reçu dans la soirée. Ses mains étaient agrippées à la tunique de fortune d'Herenui et elle ne semblait pas prête à la lâcher.

 La mercenaire ne savait quelle attitude adopter et resta quelques minutes à observer celle qui l'avait rejointe dans sa paillasse. Elle remarqua que leur apparence physique était diamétralement opposée. L'une avait les cheveux blancs et la peau mate, l'autre des cheveux foncés et une peau nacrée. Elle ne put s'empêcher de scruter toutes les petites différences qu'elle pouvait noter. Une face un peu plus plate, les yeux bridés. C'était la première fois qu'elle se retrouvait si près d'une personne qui n'était pas originaire de l'île. 

L'enfant s'éveilla et ouvrit d'un coup de grands yeux lorsqu'elle se rendit compte que la démone la fixait de ses pupilles couleur sang. Elle lâcha précipitamment l'habit de cette dernière et rougit de confusion. Herenui lui adressa un sourire et se redressa.

Natsuko :

Hier soir, après l'incident elle n'arrivait pas à s'endormir, encore affolée et angoissée par ce qui venait de se produire. Elle n'avait pas pu partir avec ses parents, des pillards l'avaient capturée et embarquée sur ce bateau avec d'autres femmes de son village. 

Une fois à bord, elle avait essayé de s'enfuir, mais les gardiens l'avaient attrapée. D'après ce que lui avaient raconté ses compagnes d'infortune, celui qu'elle avait mordu allait lui asséner le coup de grâce quand une des étranges captives s'était jetée sur l'homme pour la protéger. Natsuko se souvenait avoir repris ses esprits alors que la guerrière était aux prises avec trois ennemis. Sa protectrice ne payait pas de mine selon l'enfant. Elle avait plusieurs bandages et semblait boitiller. Mais elle se rendit compte de son erreur lorsque la jeune femme mit hors d'état de nuire ses adversaires. 

Le capitaine était alors arrivé et avait offert de négliger l'incident si la démone déposait son arme. Les gardes avaient alors quitté la cale et deux femmes s'étaient précipitées vers la bretteuse. La plus âgée semblait très énervée. Mais elle ne put en voir plus car les captives de son village vinrent prendre de ses nouvelles.

 Les deux ethnies restaient chacune de leur côté. Les îliennes s'étaient pour la plupart rendormies, mais les orientales continuaient de discuter, restant éveillées à cause du stress de cette soirée cauchemardesque. 

Un peu à l'écart, Natsuko était perdue. Elle observait sa bienfaitrice se faire bander la cuisse gauche par ses deux amies. La vue du pansement ensanglanté lui provoqua un léger haut le cœur, mais elle ne détourna pas les yeux. Les trois étrangères partirent se coucher et elle regarda un long moment les silhouettes étendues au sol. Puis, n'y tenant plus elle se leva discrètement et parti rejoindre la jeune fille près de sa paillasse. Elle trouvait que son allure émettait un sentiment rassurant et elle ne put s'empêcher de s'allonger contre elle. La chaleur corporelle de l'inconnue mit du baume au cœur à la fillette qui ne tarda pas à s'endormir.

Lorsqu'elle s'éveilla, elle mit du temps à savoir où elle se trouvait. Elle rencontra le regard rouge rubis de la guerrière et se rendit compte de l'impudence dont elle avait fait preuve. Elle lâcha le vêtement de la démone et attendit de façon honteuse la réaction de cette dernière. A son grand étonnement, il n'en fut rien. La démone s'assit et lui décocha un sourire. Puis elle se désigna du doigt et dit :

-« Herenui »

L'hokorie comprit au bout de quelque seconde qu'il s'agissait du prénom de son interlocutrice.

-« Moi c'est Natsuko ! » répondit-elle avec enthousiasme.

L'autre leva un sourcil de façon circonspecte. La fillette se rappela qu'elles ne parlaient pas la même langue. Elle pointa donc un doigt vers sa poitrine et recommença :

-« Natsuko »

La guerrière acquiesça et essaya de répéter le prénom :

-« Na ... Natsoukoo ? »

Entendre son nom déformé de la sorte fit rire l'orientale, ce qui piqua l'orgueil de la captive exotique, qui tenta à nouveau de prononcer le prénom. Au bout de plusieurs essais, elle réussit à articuler de façon convenable les différentes syllabes. Le silence s'installa et toutes deux s'observèrent.

 C'était la première fois que Natsuko voyait une habitante de l'archipel. Elle avait entendu parler de ce peuple découvert il y un peu plus d'un siècle et demi. Cependant, elle n'avait jamais quitté son village et n'avait donc jamais aperçu de représentants de cette tribu. Maintenant qu'elle en avait l'occasion, elle ne se gênait pas pour scruter Herenui et satisfaire sa curiosité. Elle comprenait pourquoi on les appelait les Démons. Leur aspect irréel, avec leurs cheveux blancs et leur peau hâlée, et surtout leur regard rouge sang, leur donnait un air féroce. Mais l'incident d'hier lui avait permis de passer outre cette impression. Au contraire, au travers des actions de sa protectrice elle devinait la fierté qui animait l'ethnie. Le sourire chaleureux quelques minutes auparavant finissait d'adoucir son image. Elle eut envie de l'enserrer, pour se sentir protégée dans cette situation terrifiante, et, sans réfléchir, elle l'entoura de ses bras.

Herenui :

La spontanéité de Natsuko la surprit. Elle resta quelques secondes hébétée par cette démonstration d'affection à laquelle elle n'avait pas été habituée les quatorze premières années de sa vie. Elle repéra le sourire moqueur de Raurii, qui se divertissait de son embarras. Ses joues s'embrasèrent et elle répondit maladroitement à l'étreinte de la fillette. L'invasion de son espace personnel lui était désagréable, elle qui s'était entraînée depuis son plus jeune âge à repousser à coup d'épée quiconque franchissait son périmètre. . Elles restèrent ainsi quelques secondes avant d'être interrompue par l'arrivée de leur repas. Toutes les femmes se dirigèrent donc vers les marmites et commencèrent le service.  




L'aventure d'Herenui [1ere version/incomplet]Where stories live. Discover now