Chapitre 3.1 : les Âmes

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L'après-midi touchait à sa fin. Une foule tout aussi considérable qu'à leur arrivée arpentait les allées comme des fourmis ; moins productives cependant, sinon à dépenser leur argent. Au milieu de cette marée humaine, Christine et Chloé avançaient côte à côte et riaient de conserve.

Le sol jonché de papiers, de pop-corn et de pétards éclatés crissait sous leurs semelles. Leurs oreilles assourdies par la musique réclamaient une trêve. L'alléchante odeur de friture et de sucre les poussait pourtant à s'attarder sur la fête foraine, prises dans le flot continu de visiteurs.

— Je crois qu'on a fait le tour ! cria Chloé.

— Hein ?

La musique d'un haut-parleur tout proche couvrait le son de sa voix et l'obligea à répéter plusieurs fois sa phrase. Elle tira son amie par le bras pour s'en éloigner.

— On a fait tous les manèges qu'on pouvait faire, oui, convint Christine lorsqu'elle parvint enfin à comprendre la question.

Incapable de résister à la tentation, Chloé se dirigea vers le stand de barbapapa et en acheta deux énormes bâtons. Elles reprirent leur route, et Christine s'épancha comme toujours sur ses dernières conquêtes, lui raconta le dernier film qu'elle avait été voir au cinéma, avant de revenir au client qui lui avait lancé de charmants sourires pendant son service, la veille. Chloé se satisfaisait du caractère volubile de son amie. Elle n'aimait pas raconter sa vie, qu'elle jugeait inintéressante. Sa rencontre avec Jorda ou Belga restait hors-champ : Christine ignorait ses pouvoirs, et Chloé ne comptait pas la mettre dans la confidence. Elle se contenta d'agrémenter de commentaires piquants sa vie amoureuse et ne se gêna pas pour rire de sa collègue lorsque les filaments de sucre se collèrent à ses cheveux agités par le vent.

L'ambiance, sans éveiller de souvenir, soulevait chez Chloé un sentiment diffus de familiarité. Les rythmes agressifs, les spots multicolores, les fumets sucrés lui évoquaient du bonheur, des rires, de bons moments partagés. Sans en comprendre l'origine, elle éprouva un soupçon de nostalgie. Depuis que Georges l'avait sortie de la ruelle, elle ne s'était jamais rendue sur une fête foraine ni aucune attraction du genre ; seule la plupart du temps, elle n'y avait jamais trouvé l'intérêt. Elle en déduisit que l'impression lui venait d'une période antérieure à son amnésie.

Les yeux mi-clos, elle se laissa submerger par l'animation, étourdir par les basses trop puissantes qui faisaient trembler jusqu'à ses os. Encore une fois, ses souvenirs affleuraient la surface sans en émerger.

Christine attrapa son avant-bras et coupa le flot de ses pensées.

— Oh regarde ! Une voyante !

Chloé leva les yeux et aperçut les nombreux voiles bariolés qui masquaient l'entrée et donnaient à la tente de fortune un aspect mystérieux. Au milieu de la fête foraine, elle ne dénotait pas, toutefois son allure étudiée attirait – ou repoussait – à coup sûr, suivant la personnalité du badaud. Devant l'entrée, un adolescent au teint mat s'efforçait de surmonter le vacarme pour vendre le talent de la voyante et attirer les indécis.

Des petits groupes s'étaient formés près de l'entrée. La majorité hésitait encore à affronter une femme qui se disait capable de lire en eux et de voir leur avenir. Qui sait ce que les cartes, les lignes de leur paume ou la boule de cristal lui révèleraient ? Christine, tête brûlée, se moquait bien de leurs états d'âme autant que de ceux de Chloé. Elle tira son amie par le poignet.

— Allez, viens ! On va essayer, ce sera marrant !

Chloé l'arrêta.

Si la femme qui se trouvait à l'intérieur ne possédait rien de plus qu'un penchant pour le charlatanisme, alors Chloé ne risquait rien. Qu'en serait-il, si elle s'avérait être une véritable voyante, une sorcière ? Comment réagirait-elle face à Chloé ? S'en ferait-elle une ennemie ? Pouvait-elle entraîner Christine dans une entrevue qui risquait de mal tourner ?

Le Démon (L'Hybride, livre 1)Where stories live. Discover now