Chapitre 12.1 : le Démon

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Le bar était presque vide, en ce milieu de semaine. Pas de Jérôme pour mettre l'ambiance et attirer le chaland, quant au nouveau groupe, il devait se produire sur scène le surlendemain. Pour l'instant, donc, chaque chose était telle que Chloé l'avait toujours connue : à sa place. Loin du brouhaha des cafés de centre-ville et autres endroits branchés, Le P'tit Clarme restait fidèle à lui-même en n'attirant, obstinément, que les mêmes habitués.

Elle adressa aux trois ivrognes un sourire qu'ils lui rendirent de leur effrayante manière, puis elle se tourna vers Éric, de l'autre côté du comptoir. Après un soupir, il passa une main sur ses yeux.

— Fatigué ?

— Épuisé, à vrai dire, répondit-il dans un bâillement.

— Je suis désolée, murmura-t-elle. Je promets de te trouver rapidement un remplaçant pour que tu puisses retrouver une vie normale.

Elle avait bien entendu cherché après la perle rare, mais du fait de l'arrivée massive de clients les soirs où Jérôme se produisait sur scène, elle ne pouvait engager le premier venu... et les prétendants qui l'avaient jusqu'à présent contactée n'avaient jamais exercé la profession. Elle en était en partie responsable : le salaire n'alléchait pas les plus expérimentés, mais elle ne pouvait offrir davantage si elle souhaitait rester dans ses frais. Un cercle vicieux.

— J'ai moi-même cherché, mais je n'ai pas trouvé preneur.

Lentement, il s'étira et s'accouda au comptoir.

— Beaucoup de boulot ?

Un silence.

Éric l'observa d'un air soucieux, puis finit par acquiescer.

— Toujours le chef sur le dos.

Elle lui accorda un mince sourire, regrettant que le sien ne fût plus en mesure de faire de même. Un doigt tapota son épaule et elle se retourna.

— Excusez-moi, mademoiselle... c'est bien ici le P'tit Clarme ?

Amusé, l'homme dévisageait Chloé en attendant de toute évidence une réponse de sa part. Lorsqu'elle reconnut l'homme qui l'interpellait de la sorte, elle poussa un gloussement de joie.

— Gilles ! s'exclama-t-elle.

Éric réclama bien vite des explications, que la jeune femme lui donna sans tarder : le nouvel arrivant – un quadragénaire aux tempes grisonnantes – n'était autre que l'ancien barman du P'tit Clarme. Chloé avait travaillé près de trois ans en sa compagnie et tout comme Georges, il avait pris la petite nouvelle sous son aile dès son arrivée. C'est par un beau matin que Chloé avait appris son départ. Elle revoyait encore la mine coléreuse mais soucieuse de Georges, qui du jour au lendemain, avait dû temporairement reprendre sa place derrière le comptoir, le temps de lui trouver un remplaçant.

Les deux hommes échangèrent une poignée de main, puis Gilles s'attarda sur la salle quasi-vide.

— Je vois que ça n'a pas changé, ici.

Georges avait toujours eu un don certain pour venir en aide aux gens. Son bar avait même servi sa cause, lorsqu'il avait embauché ses trois malheureux : Boris, Chloé et Gilles. Aucun des trois n'avait un jour révélé aux autres la raison de sa présence au bar, et leur patron, seul dans la confidence, n'en avait jamais ébruité le moindre indice... mais une chose était certaine : ils étaient tous trois naufragés de la vie.

À ses débuts, Chloé avait d'abord eu peur du grand colosse blond et laconique qui surveillait la salle. Il ne s'était jamais étendu sur la raison qui l'avait poussé à rejoindre Le P'tit Clarme, et à dire vrai, la jeune femme n'avait jamais osé le lui demander franchement. Gilles, le barman joyeux qui animait la salle par ses blagues et ses discussions houleuses avec Georges, l'avait accueillie en lui expliquant rapidement comment les choses se passaient. À la manière d'un mentor, il lui avait raconté que Boris était impressionnant mais ne lui ferait jamais de mal, tout comme Georges, qui à la manière d'un petit roquet, aboyait beaucoup mais ne mordait pas.

Le Démon (L'Hybride, livre 1)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant