Chapitre 4.3 : le Contrat

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— Alors ça y est, tu veux retrouver ta famille ?

Devant le ton pincé qu'il avait pris, Chloé releva les yeux.

— Georges, tu sais que...

— Ah ! Je n'ai rien dit.

À la fois amusée et attristée par son agacement, elle regarda son patron avec tendresse. Il l'avait secourue, l'avait aidée à reprendre une vie normale, lui avait offert son temps, une partie de son argent et même un travail... Entre eux s'étaient tissés des liens bien plus étroits que ceux d'une employée envers son responsable ; Georges était devenu le père qu'elle avait perdu avec sa mémoire.

— Georges, tu sais que tu es le seul et unique membre de ma famille, et ça ne changera pas une fois que...

— Ne dis pas de bêtises, s'il te plaît. Si tu retrouves ta famille, tout changera, et c'est normal. C'est dans l'ordre des choses.

À regret, elle admit qu'il avait raison.

— Je ne peux pas t'en empêcher... mais viens encore me voir de temps en temps, quand ce sera fait.

— Je compte encore travailler ici, tu sais ?

Il pouffa de rire, puis reprit son stylo.

— On verra bien.

Son attitude la blessait, mais elle le comprenait. Georges avait divorcé des années plus tôt, et n'avait conservé que de froides et houleuses relations avec son ex-femme et leur fille, qui semblait s'être alliée à sa mère. Chloé, pour sa part, avait oublié jusqu'à l'existence même de parents. Leur rencontre les avait tous les deux aidés à surmonter ces épreuves et ils s'étaient naturellement rapprochés l'un de l'autre. Elle avait toujours refusé de risquer sa nouvelle vie au profit d'une autre sans doute plus violente mais à présent, Chloé ne pouvait plus rester dans l'ignorance. Tous ces trous, ces vides dans sa mémoire devaient être comblés, et ce malgré l'angoisse sourde qui lui tordait l'estomac. Elle n'avait que les souvenirs de Georges et ses obscures réminiscences pour seuls indices. Non seulement la tâche ne serait pas aisée mais elle risquait d'être dangereuse. S'était-il agi d'une fois, brève et isolée, ou sa vie n'avait-elle été que tourments ? Y songer lui provoquait des sueurs froides, tant son intuition penchait vers la seconde option.

Pourtant, elle voulait revoir Nicolas.

Georges réarrangea ses papiers devant lui, et elle comprit qu'il n'avait plus rien à lui dire. Aussitôt elle se leva, contourna le bureau et déposa un baiser sur sa joue. Surpris, il la dévisagea.

— Qu'est-ce qui te prend ?

— Je ne compte pas t'abandonner le jour où je retrouverai ma famille. Je ne peux pas oublier tout ce que tu as fait pour moi, quoi que tu en dises.

Après une seconde de stupeur, il se mit à rire.

— Je sais que tu ne le feras pas sciemment.

— Ne crois pas te débarrasser de moi aussi facilement, rétorqua-t-elle, malicieuse.

Il lui accorda un sourire, mais elle devinait sans peine son scepticisme.

— Et sinon, comment s'en sort Jérôme ?

— Bien mieux que je ne pensais, avoua-t-elle.

Elle jeta un regard à la pendule. L'heure de l'entracte arrivait et elle devait s'assurer qu'un peu de musique comblerait ces moments de pause. Un verre attendrait le nouveau prodige du P'tit Clarme dans la loge où il se reposait, loin de l'agitation de la salle.

Le Démon (L'Hybride, livre 1)Where stories live. Discover now