Chapitre 2.2 : la Serveuse

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Sans empressement, Chloé s'éloigna. Elle aperçut une de ses collègues en train de dépoussiérer et dégraisser le coin bar. Un autre vérifiait l'arrosage des plantes, qui constituaient de petits murs végétaux et permettaient un minimum d'intimité entre les tables. Enfin, une troisième terminait de disposer les chaises en hauteur pour pouvoir passer un dernier coup de serpillière avant l'ouverture. Les seuls regards qu'elle s'attira lui parurent hostiles, réprobateurs. Tous arrivaient avant Chloé car elle ne travaillait qu'à temps partiel ; ils la percevaient comme une privilégiée, voire une profiteuse. Elle s'enfuit dans le vestiaire et revêtit son uniforme : un tailleur gris portant son nom ainsi que celui du restaurant, accompagné d'un chemisier blanc. Leur patronne, Sylvia Rouget, la quarantaine agressive, exigeait une tenue impeccable. Elle chargeait ses employés, à tour de rôle, d'amener au pressing et de récupérer tous les uniformes. Une tâche à laquelle elle échappait en raison de ses horaires réduits ; un privilège dont ses collègues semblaient lui tenir rigueur.

Tandis qu'elle se changeait, un petit poids sur sa poitrine attira son attention. Le pendentif bleu scintillait sous l'éclairage. Sans comprendre pourquoi, elle l'avait passé autour du cou avant de venir. Sa couleur prononcée tranchait sur le blanc du chemisier. Chloé le souleva dans sa paume et l'inspecta.

Il n'avait pas changé depuis la veille et pourtant, quand elle l'observait, elle avait le sentiment qu'une porte s'ouvrait sur ses souvenirs. Elle le portait autour du cou lorsque Georges l'avait trouvée au milieu des poubelles. Il était lié à son passé et à en juger par la lueur qu'il avait projetée la veille au soir, il l'était aussi à la magie. Quand, comment était-il entré en sa possession ?

Un bâillement lui échappa ; elle paierait sa nuit agitée. L'heure tournant, elle reporta la question à plus tard. Après avoir remis un peu d'ordre dans ses courts cheveux, elle dissimula le pendentif sous son col et partit en cuisine saluer le chef et son équipe.

— Salut Franck.

— Hé ! Comment tu vas, miss ?

Elle sourit à cette appellation. Le chef appelait toutes ses collègues de la même façon, avec le même sourire aux lèvres. Chloé l'appréciait mais n'avait jamais vraiment eu le temps de faire plus ample connaissance avec lui. Cette fois encore, elle trouva toute l'escouade concentrée, devina la même pression qu'en salle. Non qu'ils eussent pour habitude de bâiller aux corneilles, mais leur agitation sortait de l'ordinaire.

— Il y a quelque chose de spécial aujourd'hui ?

Affairé à préparer une sauce, il releva à peine le nez de sa casserole.

— Hum ?

— Tout le monde a l'air agité.

— En effet, mademoiselle Cole, répondit une voix stridente dans son dos.

Chloé fit volte-face et se trouva nez à nez avec sa patronne.

— Il me semble que l'heure n'est pas aux discussions.

— Mais je...

— Nous attendons une personnalité importante pour le service de ce midi. Activez-vous et allez aider les autres en salle.

— Je ne faisais pas...

— Les carreaux ont besoin d'être nettoyés. Dois-je vous montrer où se trouvent les produits d'entretien ?

Chloé serra les poings et ravala les répliques acerbes qui menaçaient de franchir ses lèvres.

Un peu trop serrée dans son tailleur bleu nuit, Sylvia Rouget incarnait l'archétype de la femme autrefois séduisante et qui refuse de vieillir. Sans doute s'imaginait-elle avoir toujours vingt ans. Chloé lui concédait un style, une élégance remarquables, mais il s'agissait bien des seuls compliments dont elle se sentait capable. Avec ses cheveux parfaitement laqués retenus en un chignon strict, elle toisait son employée de sa condescendance habituelle. L'estime qu'elle lui portait se lisait sur son visage, et elle ne grimpait pas haut.

Le Démon (L'Hybride, livre 1)Where stories live. Discover now