Chapitre 1.3 : La Chanteuse

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Georges, poing brandi dans sa direction, ordonna à l'homme d'affaires de quitter le bar sur le champ – bien que son vocabulaire s'avérât beaucoup plus fleuri – et sembla même prêt à le jeter dehors de ses propres mains. Ridge ne lui en laissa pas l'occasion. Après un dernier regard noir, il quitta le bar la tête haute, devant un panel de clients attentifs et curieux. S'il avait recherché la discrétion, il n'avait choisi ni le bon endroit, ni la bonne personne.

Keep dreaming, leave the worries behind you...

La porte claqua derrière lui. Les clients, habitués aux sautes d'humeur du chef de l'établissement, n'attendirent que quelques secondes pour retrouver le fil de leurs activités et bientôt, le brouhaha habituel emplit la pièce et étouffa les premières notes de What a Wonderful World. Georges vint prendre place au comptoir à côté de sa protégée. Les trois ivrognes ne lui accordèrent pas l'ombre d'un regard et tirèrent leur verre à eux, pris dans une de leurs incompréhensibles conversations.

— Tu ne devrais pas t'énerver comme ça, le sermonna-t-elle. Ce n'est pas bon pour toi.

Il aboya un rire bref.

— Tu peux bien dire ! C'est l'hôpital qui se fout de la charité !

Elle réprima un sourire et se tourna vers Éric. Georges tendait une main vers lui pour attirer son attention.

— Bordel... Éric, mets-moi un whisky, j'ai bien besoin de ça.

Chloé dévisagea son patron, sourcils froncés, puis planta l'un de ses poings sur sa hanche.

— Georges... Ce n'est pas sérieux.

— J'ai besoin d'un remontant.

Impatient de nature, il fit signe à Éric d'accélérer la manœuvre.

— Que te voulait ce type ?

Les fines lèvres de Georges se pincèrent à en blanchir.

— Ce sale type veut me racheter le bar ! Mon bar !

Une intense satisfaction teinta le visage d'Éric : il avait visé juste.

— Non mais, pour qui il se prend, poursuivit Georges avec emportement, avec ses airs d'homme du monde ! Qu'est-ce qu'il croit ? Que parce que je vis dans le coin le plus défavorisé de Clarme, on peut m'acheter en claquant des doigts ?

Sans leur laisser le temps de répondre, il enchaîna :

— Monsieur a de l'argent alors il pense qu'il peut acheter le monde, mais moi, je m'en fous qu'il soit riche ou pas ! Qu'il rentre chez lui avec ses chèques et ses billets, ça lui tiendra compagnie ! Et il me foutra la paix, au moins...

— Inutile de te mettre dans des états pareils...

— Arriviste, grommela-t-il. Me prendre mon bar ! Jamais personne n'avait osé !

— Calme-toi, Georges.

Éric posa devant lui le verre de whisky on the rocks. D'un seul et même mouvement, Georges s'en saisit, le porta à sa bouche et le vida. La dernière gorgée parut plus difficile que les précédentes, mais il tint bon et fit claquer son verre sur le comptoir, devant un barman ahuri.

— Quelle descente...

Avec un sourire malicieux, le patron s'appuya sur le comptoir.

— On voit que tu ne me connais pas depuis longtemps, gamin.

Au froncement de sourcils d'Éric, Chloé devina que « gamin » ne comptait pas parmi ses surnoms préférés. Lui en déplaise, il semblait assez jeune pour être le fils de Georges. Ce dernier se leva d'un bond, arrachant un sursaut à ses deux employés.

Le Démon (L'Hybride, livre 1)Where stories live. Discover now