Chapitre 56

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56 - Retour d'une vie


Eliane reprit doucement conscience et s'aperçut qu'elle flottait dans un univers étrange. Elle sentait tout son corps, ses muscles, sa peau, mais elle ne parvenait pas à bouger. Elle eut l'impression de quelqu'un touchant sa peau, la déplaçant, elle percevait des mouvements, des frôlements mais elle ne pouvait pas bouger. Ses yeux ouverts ne voyaient que le monde dans lequel elle flottait doucement, un univers sombre seulement éclairé de nuages argent, zinc, plomb, or blanc... Un panel de gris métalliques dans lequel elle naviguait au grès de son esprit. Après maintes tentatives infructueuses, elle laissa de côté ses ressentis corporels et se laissa entraîner par le courant invisible qui la guidait au cœur de ces amas gris à l'air aussi fragiles qu'immuables. Elle s'inquiéta soudain en voyant un petit nuage se détacher de la masse et venir vers elle, le bloc de couleur chrome accélérait de plus en plus et filait dans sa direction, s'approchant dangereusement. Eliane essaya de se débattre, de s'écarter mais elle ne pouvait toujours pas bouger et ne put que regarder, impuissante, la forme la percuter.

Dans un réflexe futile, elle avait clos ses paupières en prévision du choc, mais quand rien ne se passa, elle tenta d'ouvrir à nouveau les yeux. Elle papillonna un instant pour s'assurer qu'elle ne rêvait pas, surprise de pouvoir faire ce geste et se concentra sur la scène se déroulant devant elle. Elle se trouvait dans un salon coloré, où une petite fille avec de longs cheveux bruns bouclés ouvrait des paquets cadeaux aux couleurs bariolées. Ses rires emplissaient le salon tandis qu'un couple qu'elle ne connaissait pas regardait l'enfant, attendri.

Les images se dissipèrent rapidement, avant qu'Eliane ait vraiment saisi ce qu'elle voyait et elle se retrouva une nouvelle fois dans l'espace noir et gris. Mais un autre nuage fonçait déjà vers elle, ce dernier était plus foncé que le précédant, un gris brillant de graphite. Le choc à nouveau n'eut pas lieu mais elle retrouva la petite fille, pleurant au sol, un vélo à petites roues couché à côté d'elle. Elle tenait contre sa poitrine son genou égratigné tandis que son père accourait vers elle.
« -Hermione, ma chérie, tu n'as rien ? »

Ainsi défilèrent les images, de plus en plus rapidement. Elle avait à peine le temps de sentir son corps flotter dans l'entre-deux noir et gris qu'une nouvelle scène s'offrait à elle. La petite fille à son anniversaire, au centre commercial avec sa mère, en visite chez sa grand-mère, à l'école maternelle, en vacances en Irlande. Eliane voyait défiler devant ses yeux la vie de cette Hermione, elle ne connaissait pas la jeune fille, ni ses parents, elle ne comprenait pas bien tout ce que cela avait à faire avec elle mais elle était impuissante à agir, elle ne pouvait qu'observer. La petite semblait vivre à Londres, mais si Eliane reconnaissait la ville, certains détails la choquaient. Les voitures étaient bien plus nombreuses et la technologie semblait incroyablement futuriste. La maison avait un objet appelé téléphone, un autre congélateur, un lave-linge, une télévision. Rien de tout cela n'avait existé à son époque. La vie semblait paisible, loin de la guerre qui avait ravagé le paysage londonien et des affres de la reconstruction, même le métro était différent.

Elle accédait à un millier de souvenirs, les nuages gris la percutaient dès qu'elle quittait une anecdote, pour la plonger dans une autre, les moments de vie d'une inconnue, qui lui paraissait pourtant très familière. Elle savait qu'il y avait une explication logique à cela, elle sentait qu'en elle se trouvait la réponse mais elle avait du mal à se souvenir de ce qu'elle faisait avant de se retrouver dans ce monde étrange.

Hermione venait d'avoir six ans, elle avait commencé l'école primaire depuis peu et se réveilla soudain d'un cauchemar, ses sanglots attirèrent sa mère qui vint la réconforter et lui chanter une berceuse. Eliane reconnut aussitôt les paroles, elle avait, elle aussi, chanté cette chanson à de nombreuses reprises. Elle essaya de se rappeler pourquoi. Un enfant... Son enfant. Oui, elle avait un enfant. Non. Elle en attendait un. Elle se souvint alors de cette habitude, de chanter la nuit en caressant son ventre. Elle revit alors le visage d'un homme, grand, brun, le nez droit, les pommettes hautes, une bouche sévère. Un visage à la fois noble et dur qui éveilla en elle une vague d'amour puissante. Tom.

Un voyage dont on ne revient pasDove le storie prendono vita. Scoprilo ora