Chapitre 4

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Mohammed demeura d'abord sans voix d'un tel affront. Aziz lui avait pourtant certifié qu'il n'y avait plus personne dans le harem. Seulement, après vives réflexions dans lesquelles une rage bouillonnait, Mohammed congédia Aziz d'une main preste sans quitter la jeune fille des yeux. Au premier abord celle-ci paraissait folle dans cette blouse qu'aucune autre portait lors de sa première visite. Pour dire vrai, il n'avait pas le souvenir d'avoir aperçu cette silhouette. Sur la grande table, des pièces d'un puzzle éparpillés semblaient faire le bonheur de cette patiente cachée sous une épaisse couche de cheveux. Approchant un peu plus son fauteuil dans lequel il était condamné depuis sept mois, Mohammed serra ses mâchoires en s'arrêtant un mi-chemin. La jeune fille se redressa dans un sanglot muet et quitta le banc pour ramasser une pièce manquante, jonchant le sol. Quand elle lui fit face, Mohammed eut beaucoup de mal à rester insensible aux premières démarcations d'un visage semblable aux poupées russes que l'on gardait secrètement caché dans un grenier. Mais dès lors son visage lui fut exposé, il fut subjugué par sa cruelle beauté. Sa chevelure d'ébène traînait sur le sol. Stupéfait Mohammed dévisagea la jeune femme soulever sa masse de cheveux pour lui dévoiler un visage parfait. Ses yeux bleus océans se perdirent dans la contemplation des lieux, ses cils recourbés comme les ailes d'un aigle frôlaient la peur. Ses pommettes étaient rosées par la clarté, ses lèvres pulpeuses et rouge de sang. Si Mohammed avait beaucoup de mal à croire aux légendes, la jeune femme aurait presque pu devenir la preuve divine que les légendes disaient vraie.

Mais quand elle se leva. La légende prit son sens et il se retrouva désarmé. Quoi de mieux pour lui que de répondre par la menace devant une telle divinité ! Songea-t-il rageusement en s'approchant d'elle. Les femmes étaient conçus pour tuer l'homme en avait-il conclu après son accident. Alors il ne laisserait pas cette jeune fille le dévier du droit chemin.

- Que faites-vous ici ?

Alors qu'il croyait que cette question cinglante allait faire relever la tête de cette jeune femme et qu'elle lui dévoilerait le regard d'une tentatrice, Mohammed resta sans voix lorsque celle-ci prit peur.

De la peur, de la crainte, terrifiée, saisie par une multitude de sanglots incontrôlables...voilà ce que la jeune fille lui offrit en guise de réponse.

Elle ne portait pas de vêtements, seulement une blouse d'hôpital dont le tissu paraissait rêche. On aurait dit une biche prise dans les phares d'une voiture. Ses grands yeux se voilèrent subitement. Elle baissa les yeux sur son puzzle et d'une main tremblante, se cacha le visage. Mohammed avança son fauteuil de l'autre côté de la table pour lui faire face. La seule chose qui interdisait à Tara de se lever et de courir pour se réfugier dans sa chambre était la situation du roi. En fauteuil roulant, il ne pouvait pas l'attaquer, songea-t-elle le cœur battant à tout rompre. Mais cela n'était pas suffisant pour atténuer ses tremblements. Même assis et condamné, l'homme dégageait une telle puissance que sa présence semblait réduire l'espace de la pièce. Lorsqu'elle osa relever les yeux, son regard était comme celui d'un prédateur. Des rides ténues striaient le coin de ses yeux. Sa bouche avait des contours sévères. D'une profondeur insondable, son regard paraissait avoir été créé dans l'unique but de menacer.

- Pourquoi êtes-vous ici ? Quel est votre nom ?

La rudesse de sa voix l'empêcha de répondre. Tara baissa la tête et se mordit la joue à sang.

- Êtes-vous muette ? Demanda-t-il d'une voix grave et percée impatience.

Pouvait-elle feindre cette handicape pour survivre ? Tara ferma brièvement les yeux lorsqu'il se rapprocha de la table. Un sourd grognement vibra dans l'intérieur de l'homme comme s'il ruisselait d'une colère contenue.

- On vous à oubliée ? Pourquoi vous n'êtes pas en ville avec les autres ?

Incapable de tenir plus longtemps devant cet homme taillé dans la serpe, Tara récupéra les pièces de puzzle d'une main tremblante pour les rassembler dans la boîte. Un homme entra dans la pièce puis un autre.

C'en fut trop pour Tara.

Elle se leva précipitamment en manquant de trébucher et se réfugia dans sa chambre. Toutes les pièces du puzzle tombèrent sur le sol. Tara les récupéra une à une non sans éprouver de la crainte. Les hommes derrières la porte échangeaient dans leur langue et elle était seule.

Mohammed resta devant la porte que la jeune fille avait empruntée et soupira bruyamment.

- Qui est cette fille ? Demanda-t-il à Aziz.

Ce dernier posa le dernier tableau sur le sol et secoua légèrement de la tête.

- Je l'ignore votre altesse, pour dire vrai, c'est la première fois que je la vois.

Cet aveu aiguisa sa curiosité. Forcé de constater qu'elle n'avait pas fait semblant d'avoir peur, Mohammed fixa la porte close.

- Est-ce bien raisonnable de la laisser seule, déclara Mohammed en regrettant amèrement de ne pas pouvoir se lever.

- Elle vient de s'enfermer, lui fit-il remarquer.

Lâchant un juron, Mohammed traversa le couloir et examina les tableaux.

- Rien ne semble avoir été abîmé, constata-t-il durement ; Ramène ces tableaux dans la salle principale et trouve leur une place de choix.

Mohammed les observa une dernière fois.

- Après-tout ils font partie de l'histoire de mes ancêtres.

Aziz acquiesça silencieusement et prit le dernier tableau qui montrait son arrière grand-père et une femme à moitié dévêtue.

- Lorsque madame Thomas rentrera, j'exige la voir, ordonna-t-il fermement.

- Bien votre altesse.

Mohammed quitta les lieux et ouvrit sa main dans laquelle reposait une pièce oubliée par la jeune fille. Khazban avait besoin de nouveauté. Et même si on l'appelait le roi fantôme, Mohammed tenait particulièrement à faire revivre son pays. Accepter ce groupe de jeunes filles dans son château montrait de lui, la facette oubliée. Mais à quel prix ? Pouvait-il faire confiance à ces femmes ? Pouvait-il se risquer à faire la même erreur qui l'avait conduit dans ce fauteuil ? Serrant le poing, Mohammed regagna le château avec la ferme intention de mettre à mal Tina Thomas afin d'obtenir des réponses.

Après avoir entendu la lourde porte de refermer, Tara écarta les rideaux. Le ciel était soudain plus gris, les dunes de sable au loin semblaient s'épaissir à mesure que le redoutable maître des lieux s'avançait vers les immenses portes. Même de dos, son élégant port de tête semblait redoutable. Ses hommes s'écartèrent silencieusement à son passage. Au bord du vertige, Tara posa sa main sur la vitre alors que tous les tableaux qui demeuraient encore dans salle où elle s'était cachée furent emportés les uns après les autres. Le roi monta la pente installée à la seule force de ses bras et se retourna face à l'horizon. Son profil de guerrier lui offrit ses premières gouttes de sueurs de la journée. Le souverain arborait un visage à la virilité incontestable. Ses mâchoires déterminées la force émanant de sa forte carrure. Tara hoqueta lorsque celui-ci vrilla son regard au sien comme s'il avait senti son regard peser sur lui.

Tara se laissa tomber sur son lit pour se cacher, la respiration haletante.

La promesse du désertOù les histoires vivent. Découvrez maintenant