Episode 6

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 — Mais... c'est déjà de la folie ce que tu lui as fait subir pendant ces treize années ! de la pure folie, elle est prisonnière. Non ! Même les prisonniers ont le droit de lire des histoires sentimentales, écouter de la musique, s'exprimer, vivre et... 

 — Des mots ! cria-t-elle en lui coupant la parole. Ce que tu dis là ne sont que des mots, sans importance. Je suis responsable de cette fille. C'est moi qui en suis responsable, tu m'entends ? Et je veux en faire une fille responsable. J'ai causé déjà le malheur de Lucie dans la débauche, je prépare Inès à une vie paisible différente de ce qu'a été la vie de sa mère. La semaine prochaine, notre séjour au pavillon sera l'aboutissement de son éducation. Elle ne sait pas ce qui l'attend, mais elle le saura la semaine prochaine, et toi aussi au passage. Donc, soit patient.


- Chapitre 2 - « Aimons-nous jusqu'à en mourir »


En constatant la persévérance de son amie dans ses objectifs depuis des années, il ne savait pas à quoi s'attendre la semaine prochaine. Elle était déjà sévère il y a cinq ans, et très têtue, mais là, c'est trop. Il ne savait pas vraiment comment s'y prendre avec elle pour la raisonner, mais tout de même, il posa la question : — On se connait depuis qu'on est enfants, tu peux me le dire à moi... Je n'en parlerai à personne. Tu peux compter sur moi. Elle regarda le sol en soupirant, puis regarda vers la cuisine pour voir si Inès était pré- sente. Constatant qu'elle était assez loin, elle chuchota à l'oreille de son amie : 

 — Je la marierai à un voisin de campagne en Côte d'Azur. Il me dit qu'il sera d'accord pour cela. Inès fera une bonne épouse, une bonne maîtresse de maison et une fermière excellente. Lui est un homme honnête, très bien moralement, calme et modeste en plus. - Modeste ? dit Pierre. Est-ce ce qu'il a le choix déjà ? ajouta-t-il avec sarcasme.

 — Pas d'arrogance, mon cher Pierre !

 — Je plaisante... mais la petite, elle, est d'accord pour se marier avec lui, au moins ? Tu ne peux pas savoir comment elle pense, Inès. Si ça se trouve, il n'est pas du tout son genre de garçon. Si elle n'est pas d'accord, tu feras comment ? Non, c'est trop, enfin... je ne comprends pas comment une femme aussi intelligente que toi peut agir comme cela. Qui sait, peut-être que tout ce que tu as construit, cette éducation à la dure, elle finira par en avoir marre et se libérera de tout ce que tu as bâti. Ce mariage, c'est trop, Bernadette. 

 — Ce mariage, c'est la cerise sur le gâteau, c'est tout. Et puis, je la connais bien, Inès, pour l'avoir éduqué, elle n'a pas d'imagination ni de sentiment. Tout ce qu'elle sait faire, c'est le ménage et quelques théorèmes scientifiques pour empêcher toute imagination. Elle ne connait pas l'empathie, non plus. Connaissant son caractère têtu, Pierre hésita à dire ce qu'il pensait d'elle ; qu'elle était complètement déglinguée du cerveau ! Mais il se contenta de dire : 

 — Non... elle aura probablement d'autres envies, comme peut-être... 

 — Elle n'aura pas d'autres envies que celle d'être une bonne femme, coupa ma- dame Leroy... et une bonne ménagère, et une bonne bergère. C'est tout. Et il n'y a pas à discuter. Elle reprit son souffle pour lui dire : 

— ...Si tu veux bien, maintenant, changeons de sujet. Parlons de tes voyages. Tu dois avoir pris un tas de photos, là-bas, n'est-ce pas ? Inès arriva au même moment dans la salle à manger avec des couverts ; fourchettes, couteaux, cuillères et assiettes pour les invités parisiens qui viendront dîner ce soir à la maison. Elle posa ces couverts de manière extrêmement rapide et très précise, avec une délicatesse déconcertante. Elle avait l'habitude de faire la table et personne ne pouvait être aussi précise et rapide. Madame Leroy avait effectivement missionné les domestiques pour qu'ils lui apprennent à mettre la table le plus rapidement possible. Les domestiques comptaient le temps avec un chronomètre et chaque jour, elle devait améliorer le record de la veille. Si bien que, lorsqu'elle rangea les couverts, Pierre la regarda avec étonnement tellement la rapidité et la dextérité de ses gestes l'impressionnaient. 

Il ne posa pas de question à son amie Bernadette pour connaitre l'origine de cette habilité à ranger les couverts, par peur de la réponse. Il fallait déjà qu'il digère toute la folie qu'il avait entendue. De toute manière, il ne l'aurait pas cru... Inès arrangea d'un geste ses cheveux blonds sans dire bonjour à Pierre. Effectivement, elle avait l'air de n'exprimer aucun sentiment. Une fois les couverts rangés, elle se dirigea vers la cuisine où la cuisinière l'accueillit par ces mots tendres : 

 — Enfin, ce n'est pas trop tôt ! j'ai failli vous attendre ! Venez m'aider ! La semaine suivante arriva. Ils arrivèrent tous enfin au fameux pavillon où madame Leroy avait prévu l'accomplissement de son plan machiavélique. Lorsqu'Inès se leva à l'aube, le matin lui disait déjà bonjour sous un ciel décoré de merveilleux contrastes de couleurs. La fille sortit sa tête par la fenêtre pour observer le paysage. Il y avait tout près d'elle des étendues d'herbe où la rosée du matin était bien présente. On entendait le sa- lut des coqs se répondant les uns les autres, les oiseaux sifflotant de jolies mélodies et au loin, derrière les pommiers et cerisiers, on apercevait la mer. La mer... Inès n'avait jamais eu cette délicieuse chance de se baigner dans la mer, de sans approcher même. Sa tante lui interdisait. La mer lui était interdite, comme le bonheur. Son destin semblait tracé par madame Leroy. Elle le savait. Inès, après avoir respiré l'air frais, descendit les escaliers de bois du pavillon et ouvrit la porte d'entrée, sortie de la maison et du jardin pour traverser le pont. À sa droite, elle pouvait apercevoir le quartier de la Mare-Rouge situé à un kilomètre. Les maisons étaient beaucoup plus belles et proches de la mer. Elle avait même entendu Pauline, la gardienne du pavillon, dire : 

 — Il n'y a que des grandes villas, là-bas. Seuls les gens très riches peuvent y habiter. Il y a à l'intérieur des piscines et des jardins dix fois plus grands que dans ce pavillon. La plus grande maison appartient à un chef d'entreprise travaillant dans les nouvelles technologies, je crois. Ces enfants viennent souvent faire des promenades à cheval.  

La fille maltraité et le milliardaire américainWhere stories live. Discover now