Episode 10

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 — Votre nièce à sauver mon petit Enzo d'une terrible chute à poney et elle s'est légèrement blessée en le rattrapant. Alors, nous l'avons soigné à notre domicile.

—Contente qu'elle fût assez rapide pour le rattraper.

— Oui, nous lui en sommes tous très reconnaissants à la maison. Cela dit, ce qui m'inquiète, c'est qu'elle me parait assez faible et en mauvaise santé.

— Elle est en pleine forme, elle parvient à travailler toute la journée sans aucun problème.

— Je vous assure qu'il y a quelque chose qui ne va pas. Si vous voulez bien, je pourrais passer éventuellement demain pour quelques analyses. Car, aujourd'hui je suis empêché, j'ai déjà un rendez-vous de prévu.

— Faites donc, si cela peut vous rassurer. J'ai confiance en votre professionnalisme. J'ai entendu parler de vous de façon favorable à Paris.

Madame Leroy prétexta avoir du travail à finir pour clore la conversation. Le médecin retourna dans sa voiture, Arthur prit le volant et mis en marche la voiture.

— La vache ! dit le médecin. Elle n'est pas aimable du tout ! C'est à peine si elle se fichait que sa nièce s'était blessée. Le pire dans tout ça, c'est qu'elle prétend que la pauvre fille est en pleine forme !

— Tu pourras revenir la voir demain ?

— Oui, il faut qu'on la soigne. Je poserai un diagnostic demain.

Dans sa chambre, seule, Inès s'allongea et regarda avec un sentiment étrange et inexplicable le ciel ensoleillé. Elle eut l'impression d'avoir fait un rêve éveillé. Ce genre de rêve où l'on souhaiterait que le sommeil se prolonge, au moins un peu plus. Elle ressentait une étrange sensation, un sentiment pour elle inconnu jusqu'alors. Ces étrangers absolument adorables, ces filles jeunes, heureuses et rayonnantes, ce petit garçon tout mignon qui l'a prise dans ses bras. En replongeant un moment dans ses souvenirs, elle réalisa que personne ne l'avait jamais prise dans ses bras avant ça. Arthur avait posé sur elle un regard tendre et consolateur, assez consolateur pour supporter une vie toute entière. Quel était ce sentiment inconnu ? Peut-être le sentiment d'avoir vécu, le sentiment d'être aimé.

Des larmes ruisselaient sur ses joues...

Le burn-out fut prononcé le lendemain, ce qui expliquait la fatigue psychologique.

Le médecin alla alors voir la tante pour lui expliquer.

— J'ai vu ce type de cas chez des patients excédés par une quantité de travail trop importante. Inès fait un burn-out.

— Qu'est-ce que c'est ? demanda madame Leroy.

— C'est un état d'épuisement psychologique et physique. Elle parait très froide et indifférente.

— C'est dans sa nature d'être ainsi, répondit-elle sèchement.

— Mais il y a plus que ça, j'ai l'impression qu'elle est profondément triste, cette petite. Vous ne trouvez pas ?

— De la tristesse, songea la tante. Non, je sais bien qu'elle se fiche de tout mais... je n'ai jamais remarqué de la tristesse. Que faut-il faire contre cela ?

— Il faut du repos, beaucoup de repos. Il faut surtout lui supprimer toute charge de travail excessive. Elle m'a dit que vous lui imposiez beaucoup de travaux domestiques... Elle m'a dit aussi qu'elle n'a aucune distraction... C'est vrai ?

— C'est ainsi, mais pourquoi vous a-t-elle dit cela ?

— Parce que je lui ai demandé. Il faut qu'elle puisse avoir quelques distractions. Mais pas de distractions trop physiques ou brutales, évidemment.

— Oui, je sais bien, je ne vais pas non plus l'emmener au cinéma ou dans un club de danse ! Ces choses n'ont d'ailleurs aucune importance.

Le docteur fût choqué par cette réponse, mais essaya de ne pas montrer sa stupéfaction.

— Elle n'est jamais allée au cinéma ?

— Jamais.

— A-t-elle déjà vu un film ?

Elle hésita à répondre :

— ... Écoutez docteur, j'ai confiance en votre professionnalisme. Dites-moi ce qu'il faut que je fasse pour la guérir au plus vite, s'il vous plaît.

— ... Surtout... Il faut qu'elle reste un peu plus dans son lit et qu'elle travaille moins, c'est essentiel.

— Entendu.

Après ces mots et le départ du médecin, madame Leroy alla voir la petite allongée dans sa chambre pour lui dire :

— Ne parle pas de ta vie privée à des inconnus et ne...

Pendant ce temps, le père de famille était entouré de ses filles qui le pressaient de leur donner des nouvelles d'Inès.

— Sa blessure, je le répète, n'est pas très grave, mais elle est dans un état émotionnel et mental épouvantable. Sa tante la fait travailler en permanence. Elle a fait un burn-out et je ne sais même pas si elle acceptera de la mettre au repos, vu...

— C'est horrible ! coupa Julie.

— Oui, en effet ! répondit le père. Et vous savez quoi, je lui propose de la laisser se distraire un peu et là, elle m'apprend qu'elle n'a jamais vu de film, qu'elle n'est jamais allée au cinéma et qu'elle n'a aucune amie.

— Tu plaisantes ? demanda Chloé, bouche bée.

— Non, c'est bien ce qu'elle m'a dit. Je me retenais de la critiquer, mais vous savez, j'ai eu peur qu'elle change de médecin et qu'elle ne veuille plus me voir... Ce que je crains le plus, c'est que... je crois... Comment vous dire ça... Si elle continue à cette cadence, elle risque de ne plus en avoir pour très longtemps, la petite Inès.

— Non ! dirent en chœur les filles

— Non, papa, dis pas ça, tu ne le penses pas vraiment, hein ? demanda Julie.

— Ce que je veux dire par là, c'est que je ne vois pas comment un être peut vivre aussi longtemps en bonne santé avec un mode de vie aussi oppressant. Mais si je n'ai rien dit, c'est que j'ai ma petite idée derrière la tête. Cette idée, c'est que cette fille isolée devienne votre amie.

— Oh, papa, avec plaisir, nous serions si heureuses !!! dit Chloé avec joie.

Mais ce qu'elles ignoraient, c'était le plan machiavélique de madame Leroy : le mariage.

Après le départ du médecin et le reproche de la tante à sa nièce, Inès sortit de son lit pour gagner la salle à manger afin de travailler après le déjeuner. Arrivée à table, elle s'installa sur sa chaise habituelle. Pendant que Baptiste était en train de dresser la table, Madame Leroy regardait sa nièce du coin de l'œil. Elle l'inspectait sous tous les angles : son visage, les cernes sous ses yeux, son tour de taille...

Pourquoi mangez-vous si peu ? demanda madame Leroy en la voyant refuser la viande proposée par le domestique.

— Je n'ai pas faim, répondit-elle, les yeux baissés, par crainte de croiser le regard toujours sévère de sa tante.

Elle ne pouvait voir à quel point sa tante la dévisageait. Une sorte de dégout émanait de son visage.

Quand Inès, après son rapide repas se leva pour s'en aller, madame Leroy l'arrêta de sa main...

La fille maltraité et le milliardaire américainOù les histoires vivent. Découvrez maintenant