sans ténèbres, les étoiles ne brillent pas (français)

🌌 3 🌌

musique à écouter : broken (Anson Seabra)

"If you see the boy I used to be
Could you tell him that I'd like to find him
And if you see the shell that's left of me
Could you spare him a little kindness"

Cassi

Quelques rayons de soleil se faufilent à travers les volets de ma chambre. C'est le matin. Après l'épisode de cette nuit, je n'ai pas réussi à retrouver le sommeil. Je n'ai pas arrêté de me remémorer ce qui s'était passé.

Je me souviens de son regard glacial. Quand je ne répondais pas à ses questions, sa mâchoire se contractait la faisant paraître davantage carrée. Je me souviens de sa main autour de mon bras, ses doigts s'enfonçant toujours plus dans ma chair. Je me souviens de mes pieds sur le verre, il ne s'en est pas inquiété une seule seconde. Était-ce réellement ce qu'il avait voulu faire ?

Je me suis retrouvée si proche de lui, je pouvais presque sentir son souffle sur mon visage. Ses paroles étaient tranchantes, et son ton méchant. D'un côté, je sais qu'il n'a pas compris qui j'étais, peut-être voulait-il simplement protéger sa mère et sa sœur, et d'un autre côté, je trouve sa réaction totalement excessive.

Mais son regard à changer, lorsque je lui ai dit qui j'étais. Il est devenu plus doux. Comme s'il venait de se rendre compte de la gravité de son acte. Ses mots, qui sont restés presque silencieux. Je pense qu'il sait qu'il a fait quelque chose de mal.

« Je suis désolé ». Je n'arrive pas à me sortir ça de la tête. Sa voix semblait brisée.

Ensuite, il s'est enfuit, comme s'il se sentait honteux. Me laissant, perplexe, les pieds sur des éclats de verre. Puis, j'ai nettoyé la cuisine, j'ai pensé mes blessures et je suis remontée à l'étage, tout en espérant qu'il ne décide pas de ressortir de sa chambre.

Cependant, je n'ai pas peur de lui. J'ai déjà été témoin de personne semblable auparavant. Et je sais que de tels actes de violence sont accompagnés d'un traumatisme. Et ce n'est pas en ayant peur de ces personnes que leur situation s'améliorera. Mais je ne pense pas avoir envie de le recroiser immédiatement, je pense que je vais éviter de me retrouver à nouveau seule.

Une douce odeur de gaufre me parvient aux narines. Linda et Hope doivent sûrement être levées. Je décide les rejoindre en bas. Avant, j'enfile une paire de chaussettes, je ne veux pas reprendre le risque de me balader pieds nus. Ces derniers ne me font pas vraiment souffrir, et j'en suis heureuse, mais j'ai toujours l'impression que ses doigts sont encore autour de mon bras. La manche de mon tee-shirt s'arrête juste en dessous de la marque qu'il a laissée sur moi.

Contrairement à cette nuit, je ne m'attarde pas devant la porte de ce que je sais maintenant être sa chambre. Et je pense même que je ne m'arrêterai plus jamais devant. Je me laisse guider par cette délicieuse odeur, jusqu'à la cuisine où je découvre Hope assise à table et Linda en train de cuisiner. Lorsque j'entre, elles me font toutes deux leur plus beau sourire et lancent en chœur un « Bonjour » plein de vie.

Je m'installe à table et remarque seulement trois couverts installés. Linda dépose une assiette pleine de gaufre et s'assied à son tour.

- Oui ! J'ai faim ! Déclare Hope en se servant.

- Alors, Cassi, tu as bien dormi ? Me demande Linda.

Je ne sais pas ce que je dois lui répondre. En soi, avant de descendre cette nuit, oui, j'ai agréablement bien dormi, mais une fois remonté, il m'a été impossible de retrouver le sommeil. Est-ce que je dois lui en parler ? Garder ça pour moi ?

- Je... Euh... ça peut aller. Dis-je tout en tendant le bras pour attraper une gaufre.

- Cassi ! Que t'est-il arrivé ? S'exclame Linda, les yeux ronds, elle fixe mon bras.

Au moment où j'ai tendu le bras, la manche de mon tee-shirt s'est légèrement relevée, laissant apparaître la marque sombre. Instinctivement, je tire sur le tissu.

- Je suis descendu dans la nuit, et il se pourrait que... Je pense que... Je pense avoir rencontré votre fils. Dis-je avec un sourire gêné.

- Je vais finir mon petit-déjeuner dans le salon ! Déclara rapidement Hope en quittant la pièce.

Je la regarde s'éloigner,sans réellement comprendre sa réaction.

- Il t'a fait du mal. Montre-moi.

La voix de Linda est inquiète. Doucement, elle monte le tee-shirt, laissant l'ecchymose à l'air libre. En y faisant bien attention, je remarque que la main de son fils est parfaitement bien dessinée sur mon bras.

- J'ai cassé un verre cette nuit, je m'excuse.

Je ne sais pas pourquoi, mais c'est tout ce que j'ai réussi à dire.

- Ce n'est pas grave, Cassi. Ce n'est qu'un verre. Dit-elle dans un sourire. Est-ce que tu veux bien me raconter ? Poursuit-elle.

Alors, je lui ai raconté. Les bruits à la porte, le verre, ses doigts autour de mon bras, mes pieds, sa voix autoritaire, la façon dont il s'est excusé après avoir découvert qui j'étais. Elle écoute ce que je lui dis, tout en me caressant la main, comme pour me rassurer, me dire que tout va bien maintenant. Elle n'a pas besoin de parler, je vois très bien qu'elle s'en veut pour le comportement de son fils.

- Hunter n'a pas toujours été ainsi. Il a toujours vu le monde bien plus beau que la plupart des gens. Il passait son temps à dessiner tout ce qui pouvait lui passer sous la main. Il avait des rêves plein la tête. Et, malheureusement, son père est décédé. Depuis, il a commencé à en vouloir au monde entier.

Je suis vraiment très attentive à son récit. Perdre un parent, je suis plutôt bien placé pour savoir les effets que cela peut engendrer. Mais j'avoue qu'à travers ces paroles, j'ai du mal à y retrouver l'homme que j'ai vu hier. Lorsque j'ai perdu mes parents, je suis restée à quatre-vingts pourcent moi-même. Mais c'est comme si lui, avait perdu son identité tout entière.

- Il s'est mis à détester sa sœur, car son père à elle – mon mari – est toujours en vie. Tous les deux ne se parlent plus, elle refuse de l'avouer, mais elle a peur de lui, et malgré cela, il lui manque. Il a ensuite commencé à devenir celui qu'il est aujourd'hui. Il ne sort que la nuit, il passe son temps je ne sais où, avec je ne sais qui. Et il boit. Certainement pour oublier sa peine. Mais ce qu'il oublie surtout, c'est qu'il n'est pas seul, il oublie qu'il est aimé, il oublie qu'il est talentueux. Il profite du fait que mon mari soit souvent en déplacement. Ainsi, il pense que personne ne peut lui dire quoi que ce soit. J'aurais aimé qu'après toutes ces années il commence à redevenir celui qu'il était avant. Au fond de moi, j'espère que le garçon que j'ai élevé est toujours là, mais j'ai de plus en plus peur qu'il se soit perdu à jamais.

Je mets finalement un nom sur cet homme : Hunter. Et sans vouloir le défendre, je comprends son acte de la nuit passé. Sans figure masculine à la maison, il doit penser que c'est à lui de protéger sa famille. Même s'il ne le montre pas.

Peut-être qu'il a tout simplement besoin d'être guidé par quelqu'un qui a vécu un drame semblable.

Mais je ne pourrais jamais venir en renfort à quelqu'un qui refuse d'être aidé.