Chapitre 62

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La dernière fois que Camille s'est retrouvée dans la même pièce qu'Hugo et Isabelle, c'était lors d'un autre déménagement, quand ils vidaient l'appartement de la famille, il y a pile trois ans. Depuis, ils se sont appelés parfois, pour échanger des nouvelles de Colin, mais ne s'étaient pas revus. Alors forcément, ça lui fait un peu bizarre. Pourtant aujourd'hui, l'ambiance est joyeuse, malgré le spectre de Salomé et Sandrine qui flotte toujours un peu dans l'air.

Même s'il est moins spacieux que ce qu'il paraissait sur les photos, l'appartement n'a rien à voir avec l'horreur que Colin habitait dans la tour. La porte s'ouvre sur une petite entrée avec placard, puis une pièce à vivre qui conjugue salon et cuisine. Une chambre et une pièce d'eau complètent l'ensemble. Sommaire, mais suffisant, et surtout propre, clair et bien entretenu.

— C'est super que la cuisine soit équipée ! T'as vu, il y a même un frigo ! s'extasie Anouk, pleine d'enthousiasme.

— Oui... il était déjà là quand on a visité l'appartement, tu ne te souviens plus ?

— Et ces placards, dans l'entrée et dans la chambre, c'est bien hein, pas besoin d'armoire, et puis tu pourras mettre tes pantalons ici, et les pulls sur les étagères.

— Oui oui, fait Colin. Son regard croise celui de sa sœur et ils pouffent ensemble.

Anouk, trop occupée à faire le tour de l'appartement, ne se rend compte de rien.

Il a suffi d'un voyage en camionnette pour tout apporter. Un lit, une machine à laver, le canapé de Camille, deux ou trois  meubles, quelques cartons et valises. Hugo, Jacques et Colin montent les étagères, aidés par Yacîn, un copain du service d'aide aux devoirs, tandis que Camille et Isa vident les cartons et lavent la vaisselle avant de la ranger dans les éléments de la cuisine. Anouk virevolte d'un groupe à l'autre, sert à boire, nettoie les plinthes avant qu'on mette les meubles devant le mur, fait briller les carreaux, propose de préparer les sandwiches du déjeuner.

— Colin, on te vide tes valises aussi, ou tu te débrouilles ? demande Camille, une fois la vaisselle propre et rangée.

— Non, je m'en occuperai moi-même ce soir ou demain.

— Et ce carton, là, il faut le vider ? interroge-t-elle en s'apprêtant à ouvrir une grosse boîte scotchée, posée dans l'entrée.

Mais Colin la rejoint et saisit un peu brusquement la boîte pour la mettre de côté dans la chambre.

— Non, ça aussi je m'en chargerai.

Un léger malaise flotte, et chacun baisse les yeux au sol, jusqu'à ce que s'élève la voix un peu aigüe d'Anouk : Alors, combien de sandwiches au poulet ?

A dix-huit heures, tout est en place : livres dans la bibliothèque, machine à laver branchée, cartons vidés, conserves et boîtes de pâtes dans le placard de la cuisine.

— Bon, on va te laisser... murmure Camille, à regret, en regardant autour d'elle pour chercher encore un petit quelque chose à faire, et repousser le départ.

— Oui, on va aller récupérer les enfants, confirme Isabelle.

Colin n'a qu'une envie, se retrouver seul, enfin. Il a apprécié d'avoir du monde autour de lui aujourd'hui, les rires, les blagues, la bonne humeur, mais là, il a juste besoin de calme, et de retrouver ses souvenirs. Permettre à sa femme et à sa fille de trouver leur place ici.

Mais devant le regard de chien battu de sa sœur, de sa mère, de son meilleur ami, il n'a pas le courage de les renvoyer chez eux après l'aide qu'ils viennent de lui apporter.

— Si vous avez un peu le temps, on pourrait se commander des pizzas ?

— Oh oui ! C'est trop bien ! s'exclame Camille en tapant des mains comme une enfant.

Hugo coule un regard suppliant vers sa femme, laquelle accepte avec un sourire.

— D'accord, mais on ne traîne pas trop...

— Parfait ! Je vous invite !

Colin, Yacîn et Hugo descendent alors chercher des pizzas et des bières, pendant que Camille et Isa papotent, et qu'Anouk décide d'occuper cette demi-heure libre à récurer la cabine de douche. Jacques choisit un livre, un peu au hasard et s'installe sur le canapé, taciturne, comme toujours. Il n'a pas bougé d'un centimètre quand les trois garçons remontent, ramenant un peu d'animation avec eux.

Ils ont opté pour un assortiment, que Colin dispose sur la table basse, avec quelques boissons. Prudent, entouré de trop de monde, il se décapsule une bière avant de subir une remarque suspicieuse.

— C'est un bel appart, quand même, note Hugo en avalant une part de Diavola, au salami piquant. Ça manque encore un peu de déco, mais c'est sympa. 

— Ouais, approuve Colin. Je tâcherai d'aller faire un tour dans quelques boutiques... il faudrait une plante, un ou deux trucs aux murs... et un tapis, je déteste ce carrelage blanc.

— Le blanc ça fait propre, affirme la maman, péremptoire.

— Bof, j'aime pas.

— Il y a des balatums très sympas, en imitation parquet, ce serait joli, suggère Camille. J'ai euh... une amie, qui a ça chez elle, et franchement, on croirait du vrai.

Colin fait la moue, mais Hugo s'enthousiasme déjà :

— Ah oui, je pourrais venir t'aider à le poser si tu as besoin !

Comme avant, du temps où ils se donnaient des coups de mains mutuels pour faire des travaux dans leurs maisons neuves.

— On verra...

***

Enfin seul. Ils ne sont pas partis tard. Les pizzas achevées, Anouk a plié les cartons gras et les a embarqué avec les bouteilles vides pour aller les jeter à la benne, tu as déjà assez à faire mon petit chéri. Et puis ils sont partis. Les femmes l'ont serré dans leurs bras, les hommes lui ont tapé dans le dos, et Camille a eu pour lui ce beau sourire que Colin connaît bien. Ce sourire chargé d'espoir.

Il a fallu un moment à Colin pour puiser le courage. Il a mis de la musique. Il a lavé les verres, les assiettes, puis a pris une longue douche. Il a vidé la première valise, celle de vêtements d'hiver. Deux piles de pulls, à côté des tee-shirts à manches longues. Les pantalons, pliés en quatre, comme toujours. Les chemises sur cintres. Les boxers et les chaussettes dans un tiroir.

Sur son chevet, il a branché le radio réveil, la lampe, posé son livre et la boîte d'antalgiques qui ne le quitte jamais.

Puis il s'est assis sur son lit, et a rapproché le dernier carton. Il a tout posé autour de lui. Le doudou préféré de Salomé, une espèce de souris en tissu rose, bleu et violet, ses livres préférés. Le sac à main de Sandrine, quelques produits de toilettes qui lui rappellent le parfum de ses amours. Et des photos, des tas de photos, encadrées, ou dans des albums. Tout ce qui reste de leur famille.

Il a mis son nez dans la peluche, a respiré l'odeur des souvenirs dans les pots de crème ou de savons, puis a trouvé leur nouvelle place à chacun de ces objets. La souris est allée dans le tiroir de sa table de nuit, sur laquelle il a posé sa photo préférée d'eux trois, et un portrait de Sandrine, avec Salomé bébé dans les bras. Les autres photos sont allées sur le buffet du salon, les différents livres dans la bibliothèque, avec les albums. Il faudra en acheter une seconde. Dans le petit élément suspendu au-dessus de son lavabo, dans la salle de bains, il a disposé les produits de toilette de Sandrine. Il a refermé le miroir et posé les mains sur la vasque en faïence blanche. Les sanitaires brillent, sa mère les a bien nettoyés. Puis, au prix d'un immense effort, il a rouvert le meuble et a retiré les produits qu'il venait de ranger. Il les a délicatement déposés dans le carton vide de la chambre, dans lequel il a ajouté le sac en cuir marron. Il a fermé le carton, l'a glissé au fond du placard, derrière ses boîtes à chaussures. Un au-revoir.

Colin Maillard et chat perchéWhere stories live. Discover now