Chapitre 87

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C'était le week-end de Xavier, mais à la demande d'Ana, il a changé volontiers, surtout que ça l'arrangeait, ces quatre jours libres lui permettrait de partir quelque jours avec sa douce, un petit week-end spa, la pauvre Clara, avec la grossesse, elle a vraiment mal au dos.

Ana a souri poliment, les problèmes de grossesse de Clara, c'est bien le cadet de ses soucis, surtout en ce moment. La chérie peut bien perdre ses cheveux et avoir les dents qui se déchaussent, elle s'en bat l'œil. Et d'ailleurs, même, quelques hémorroïdes, ce ne serait pas de refus. Un bébé, ça se mérite.

Ana et Nat sont parties le vendredi, dans la matinée. Elles se sont bien évidemment arrêtées pour déjeuner sur la route, la passion de Natacha, et sont arrivées en début d'après-midi à Chalon sur Saône. Si le vendredi précédent Pâques est férié en Moselle, comme en Alsace, ce n'est pas le cas dans le reste de la France et Antonia, la sœur d'Ana travaille. Peu importe, Nat et Ana en profitent pour faire un tour au centre-ville. La dernière fois, Nat avait une dizaine d'années. Ana l'emmène voir la cathédrale Saint-Vincent déjà, puis le musée Nicephore Niépce, mais à la troisième proposition de visite culturelle, l'ado sort son regard de chien battu pour négocier une séance de shopping, qu'Ana accepte volontiers. C'est le printemps et elle est passablement déprimée, double bonne raison de renouveler sa garde-robe.

Ana a réservé un petit hôtel, malgré la proposition de sa sœur de la loger. Le couple n'a qu'une chambre d'amis, Ana préfère la laisser à ses parents qui arriveront le lendemain. Et puis aussi, elle n'aime pas être chez les autres. Chez ses parents, elle a sa chambre, Nat aussi, sa propre salle de bains, et puis, bon, c'est chez ses parents. Là, dans l'appartement d'Antonia et Sébastien, elle ne se verrait pas se faire un café, fouiller dans les placards, aller aux toilettes devant tout le monde. Elle déteste ça. L'hôtel lui offre un refuge. Elle a choisi une double chambre communicante, soi-disant pour que l'ado puisse conserver sa liberté, mais c'est surtout qu'en plusieurs années, elle n'a passé que deux nuits avec quelqu'un : Mehdi cet été, Colin il y a quelques semaines. Et elle n'a pas envie de partager son lit avec Nat, malgré tout l'amour qu'elle éprouve pour elle.

La mère et la fille passent y déposer leurs sacs de voyage et leurs achats en fin de journée, en profitent pour se rafraîchir, et elles rejoignent ensuite Antonia et Sébastien dans une brasserie animée pour dîner avant de rentrer se reposer.

Même si elles partagent la salle de bains, Nat est enchantée d'avoir sa chambre, comme une grande. Depuis son lit, Ana l'entend téléphoner à son amoureux, lui chuchoter des mots doux qu'elle ne comprend pas, et c'est mieux comme ça. Elle regarde son téléphone. Colin lui a obéi. Elle ne sait pas si elle en éprouve de la tristesse ou du soulagement. La seule chose de sûre c'est qu'avec ou sans nouvelle de sa part, il ne quitte pas ses pensées.

L'arrivée de ses parents le lendemain lui offre heureusement une agréable diversion. Ils la serrent à tour de rôle dans leurs bras. Ils ne s'étaient pas vus depuis Noël. Habituellement, Ana descend toujours chez eux une semaine aux vacances de Pâques, mais cette année, ils fêtent leurs quarante ans de mariage en s'offrant une croisière sur la Méditerranée. C'est le rêve d'Amalia depuis toujours. C'est ainsi que cela fonctionne entre ses parents. Elle a suivi son mari au gré de ses différentes mutations, et elle décide du reste : menus, décoration du salon, projets de voyage. Laconique et débonnaire, Thierry ne s'en offusque pas. Du moment que ça fait plaisir à son épouse, ça lui convient à lui aussi. Ana n'est pas si arrangeante. De tout le mois d'avril, mai ou juin, où ses parents pouvaient partir en voyage, ils choisissent justement un séjour à cheval sur ses congés. Tu peux venir profiter de la maison, a suggéré Amalia. Vous aurez probablement l'occasion de vous baigner. Non merci, a répondu Ana. Pour elle, aucun intérêt de faire le voyage si ses parents n'étaient pas là, et ça l'avait encore plus vexée que sa mère sous entende qu'elle puisse venir davantage pour le mas provençal que pour eux.

Quoiqu'il en soit, ils ne seront pas là aux prochaines vacances, raison pour laquelle Antonia a convié tout le monde chez elle pour le week-end de Pâques, puisqu'elle dispose de la position la plus centrale.

Ils se serrent tous dans le petit appartement, et chacun met la main à la pâte pour préparer les lasagnes du déjeuner, les légumes farcis du dîner. Le temps s'est couvert et ils ne quittent les lieux que le temps d'une promenade le long de la Saône. Ana se force à laisser son mobile dans son sac à main, pour cesser de le consulter toutes les cinq minutes.

Pour le repas de Pâques, Thierry et Amalia ont réservé une table immense dans un restaurant de couscous. Avec l'arrivée d'Andres, Laure et leurs trois enfants, ils sont onze désormais, impossible d'assoir tout le monde à table dans le 60m2 d'Antonia et Sébastien. C'est au moment du dessert que le jeune couple annonce la grande nouvelle qui explique aussi pourquoi ils ont tenu à réunir tout le monde : leur mariage, pour l'été prochain.

Tout le monde crie de joie, les félicite, les congratule, et Thierry commande une bouteille de champagne pour fêter la grande nouvelle. Ana est très heureuse pour sa petite sœur, bien que, comme toujours, la réussite des gens qui l'entourent lui renvoie ses propres échecs. Elle pense aussi immédiatement au bébé qui ne manquera pas de suivre. Peu importe. Lucie, la benjamine de son frère est née après la mort d'Aloïs. La vie continue pour les autres, et même si elle sait que ça lui procurera toujours un pincement au cœur, la joie est sincère et bien plus forte que la jalousie.

Toujours pas de message de Colin.

Ils terminent la journée dans le petit appartement, avec un apéritif dînatoire, puis Andres reprend la route vers Lyon avec sa famille. Laure, infirmière, travaille dans douze heures. Ana et Nat avaient prévu de repartir le lendemain matin, mais Antonia propose un brunch improvisé de chez eux, avec les restes de la veille, des œufs, des fruits. Ana passe dévaliser une boulangerie et arrive chez sa sœur les bras chargés de pain, briochettes et viennoiseries diverses, pour un dernier bon moment en famille avant les grandes vacances.

Elles remontent vers Metz en début d'après-midi, il y a trois heures de route, du ménage et du travail qui les attendent. Ana a le cœur gros. Avec le monde, elle a la sensation d'avoir peu profité de ses parents, mais c'est ainsi.

Le trafic est chargé, elles ne sont pas les seules à avoir eu l'idée de profiter du long week-end pour quitter la région vers le Sud, et il y a plusieurs zones de bouchons jusqu'à Nancy. Il est presque dix-neuf heures quand elles arrivent chez elles. Ana est de mauvaise humeur, et Nat s'occupe, pour une fois, de vider son petit sac et de mettre ses vêtements au linge sale avant de s'effacer prudemment dans sa chambre.

Deux machines à faire tourner et à accrocher, l'aspirateur à passer, le repassage attendra le mercredi. Elles dînent de pâtes au beurre, ni l'envie ni le temps de préparer autre chose. Ana passe ensuite sa soirée à travailler et se couche tard, fatiguée, tendue, triste.

Colin n'a pas donné de nouvelles.



Colin Maillard et chat perchéWhere stories live. Discover now