Chapitre 96

184 32 56
                                    




Ça a été quelque chose de revoir Ana.

Surtout le jour de la rentrée, dans sa robe framboise, dont il avait tellement envie de descendre la fermeture, surtout à présent qu'il sait quels trésors se cachent sous le tissu. C'était la première fois qu'il la revoyait depuis leur retour.

Il avait espéré qu'Ana change d'avis. Il en était persuadé. Il la connaît maintenant, et il pensait vraiment qu'en se retrouvant à l'école, les habitudes prises durant leur séjour se substitueraient à leur simple complicité. Même, qu'elle lui dirait écoute Colin, tu as raison, c'est stupide, essayons d'être heureux ensemble. Non, non, en fait, elle ne dirait jamais ça, Ana n'est pas si directe. Mais elle se serait laissé séduire à nouveau, et la fois suivante, peut-être, dans leur endroit caché, il l'aurait embrassée.

Eh bien, rien du tout.

Elle est toujours la même avec lui, douce, souriante, patiente. Mais ferme. Elle ne rentre plus dans son jeu, le repousse verbalement quand il tente une approche. Elle a sûrement besoin d'encore un peu de temps. Ça viendra.

Son regard tombe sur le buffet du salon, l'autel aux souvenirs. Le sourire de Sandrine le met mal à l'aise, comme s'il s'en voulait d'avoir de telles pensées en sa présence. Il attrape un portrait d'eux trois, pris à Pâques chez Marguerite, son ex-belle-mère. Du bout du doigt, il caresse le visage de la blonde.

— Me pardonnerais-tu, de tomber amoureux d'une autre ?

Jamais il n'a pensé à elle en faisant l'amour avec Ana. Il y a dans le sexe une pulsion animale, qui pourrait le rendre instinctif alors qu'il intellectualise bien plus ses sentiments, même si pour lui, les deux restent étroitement liés. Le fait est qu'en couchant avec Ana, il n'a pas eu l'impression de tromper sa femme, mais que tomber amoureux d'elle lui semble être une forme de trahison.

— Et toi, ma petite chérie ? Crois-tu que je mérite de continuer ma vie, après ce que j'ai fait ? murmure-t-il tristement.

Il voudrait se dire que le regard rieur de Salomé l'absout, mais c'est exactement le contraire. Il a tué ces yeux-là, il ne les verra plus jamais pétiller.

Là, tout de suite, à cet instant, il donnerait sa vie pour les serrer contre lui, sentir la douceur de la joue de Sandrine contre la sienne, les petits doigts de Salomé qui pressent sa main.

Est-il prêt à s'engager réellement avec Ana ? Il ne le saura pas s'il n'essaie pas. Il a le sentiment que jamais il ne pourrait lui briser le cœur. C'est la seule à pouvoir le sauver, lui faire oublier non pas ses amours, mais ce qu'il a fait. Il est plus que temps de passer à autre chose, disent les gens. Parfois juste avec les yeux, mais toutes les personnes qui l'entourent le pensent, et elles ont sans doute raison. Cela fait trois ans et demi, et il est amoureux d'Ana, il le sait, il le sent. Son amour pour elle est différent de celui qu'il ressentait, qu'il ressent pour Sandrine mais il est aussi fort, aussi puissant.

Il se souvient, il y a cinq, six ans, Sandrine avait une collègue infirmière mariée qui était tombée amoureuse de son voisin. Elle disait à Sandrine, je les aime tous les deux, différemment, mais aussi fort. Sandrine l'avait raconté à Colin, ils trouvaient ça ridicules tous les deux, que l'on puisse être amoureux de deux personne différentes, comme si dans la définition même de l'amour il y avait la notion d'exclusivité. Marie-Josée, la collègue, expliquait mais non, regarde, mes deux enfants je les aime tous les deux, j'aime les cerises et les clémentines pareil. On peut aussi aimer deux hommes autant l'un que l'autre, en même temps, pour des raisons différentes.

Aujourd'hui, Colin comprend.

Lors de la dernière nuit passée avec Ana à Crozon, il s'est endormi dans ses bras, et s'est réveillé quelques minutes après, comme ça lui arrive si souvent ici. Mais ce n'était pas un cauchemar cette fois, plutôt comme une crise d'angoisse. Au début, il a cru qu'il faisait une crise d'épilepsie, mais c'était autre chose, une sensation d'étouffement, le cœur qui bat si vite qu'il s'est dit qu'il allait lâcher, d'un coup, comme ça.

Colin Maillard et chat perchéWhere stories live. Discover now