Chapitre 102

256 38 75
                                    

Ana n'a pas fermé l'œil de la nuit.

Hier soir, Léo est passé boire un verre, ça lui a fait du bien de discuter avec lui, et pour une fois, elle l'a senti vraiment inquiet, intéressé quant à sa situation avec Colin quand en général, il lui semble que ça l'agace plus qu'autre chose d'en parler. Il avait l'air satisfait d'entendre qu'il lui « lâchait la grappe », selon sa propre expression. Il a réconforté Ana, si anxieuse de l'opération, lui a assuré que ces quelques semaines sans le voir lui ferait du bien, la guérirait elle aussi de son côté, comme si cela pourrait suffire.

Ce soir, Natacha est chez son amie Dalila. L'ado fête ses quinze ans, elle a invité sa meilleure amie et deux autres copines à une soirée pyjama. Nat avait bien proposé à sa mère de rester, inquiète de la voir errer comme une âme en peine dans son appartement, regarder son téléphone toutes les cinq minutes, alors que Colin ne se ferait de toute façon opérer que dans deux jours. Mais Ana avait fermement refusé. Sa présence n'y changerait rien, et il était hors de question de priver sa fille de cette chouette soirée, pizza, vernis à ongles et séries en boucle, depuis le temps qu'elles attendaient ça.

N'empêche, elle avait proposé. A quinze ans, elle voit sa mère déprimer et elle est prête à sacrifier une soirée avec des copines, l'anniversaire de sa meilleure amie qu'elle attend depuis des semaines, pour rester avec sa maman un samedi soir. Quel amour. Ana n'est pas sûre de mériter tant de dévouement. Peu importe, elle a bien réagi, et ce soir, elle restera seule devant sa télé, ou au fond de son lit à compter les heures avant le diagnostic, les jours avant de le voir.

Il a fait très beau, plutôt chaud. Ça a dû être une belle journée pour les jeunes mariés. Ana se prépare un gaspacho en mixant quelques tomates, un demi poivron et du concombre, et glisse une paille et des glaçons dans son verre. Ce serait meilleur avec un peu de vodka mais elle se sent forte malgré le chagrin, elle ne recraquera plus, surtout pas seule. A présent, c'est plus l'alcool mondain qui lui manque. Boire un apéritif avec ses amis au restaurant, un verre de vin en terrasse. Mais c'est encore beaucoup trop tôt pour espérer y avoir droit.

Elle se prépare un plateau avec sa soupe froide, quelques radis et du pain, et sort dîner sur le balcon, avec une revue qu'elle feuillette distraitement. Il est près de vingt heures. Les martinets crient en tournant en rond autour de l'immeuble d'Ana, ces petits sifflements stridents si particuliers, caractéristiques des fins de journée de juin, comme les effluves de barbecue qui annoncent les soirées entre amis un peu partout dans le quartier. Ça lui donne faim. Elle croque dans un radis, mais ça ne vaut pas une brochette de bœuf.

Elle échange quelques sms avec Julie qui prend elle aussi des nouvelles de son amie quand la sonnette résonne et la fait sursauter. Qui, à cette heure-ci ?

Elle rentre, déposant au passage son plateau dans la cuisine et appuie sur le bouton de l'interphone.

— Oui ?

— C'est moi, Colin.

Instinctivement, Ana relâche la touche, et recule d'un pas. Surprise, presque choquée. Mais qu'est-ce qu'il fait là ? C'est l'histoire sans fin. A chaque fois qu'ils se disent au revoir ou qu'ils parviennent à un consensus, il revient la hanter. Ça n'en finira jamais. Ça la fatigue tellement qu'elle n'est même pas contente de le savoir ici.

— Qu'est-ce que tu veux ? demande-t-elle, d'un ton incertain, à travers la machine.

— Peux-tu me laisser monter, s'il te plaît, je dois te parler.

— Je... Écoute Colin, ce n'est pas une bonne idée.

— S'il te plaît, insiste-t-il. C'est important.

Colin Maillard et chat perchéOnde histórias criam vida. Descubra agora