Chapitre 36

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Colin ouvre les yeux. La chambre est plongée dans l'obscurité. Il regarde l'heure à son radio-réveil. Il est probablement la dernière personne de moins de soixante ans à posséder un radio-réveil, mais il n'aime pas l'idée de devoir dormir avec son téléphone près de lui. De toute façon, il n'attend pas de coup de fil, et la plupart du temps, son portable passe la nuit dans la poche de sa veste, ou sur un coin de meuble, quand il ne l'oublie pas dans sa voiture. L'écran lumineux indique 5 :37. Il va sonner dans une vingtaine de minutes, cela ne sert à rien s'essayer de se rendormir. Colin se retourne sur le ventre, s'étire, puis cherche la fraîcheur sur le second oreiller, celui qui n'accueille aucune autre tête que la sienne en fin de nuit. Les yeux à nouveau fermés, Colin tente de toutes ses forces de se souvenir du parfum de Sandrine, mélange de différents effluves. Son eau de toilette Paco Rabane qu'ils avaient un mal fou à trouver, la fragrance poudrée de son lait pour le corps au musc blanc, ses cheveux, qui sentaient le shampooing à l'amande douce. L'odeur de sa crème pour les mains, de son baume à lèvres. C'est tout cela qu'il respirait quand le soir, son épouse se lovait sans ses bras. Ça fout le camp. Il parvient encore à identifier ces odeurs séparément, et ne se prive pas de temps en temps de renifler tel ou tel soin qu'il planque encore dans le placard de la salle de bains, mais la senteur de cette combinaison de produits sur le corps de Sandrine disparait peu à peu, comme sa voix, comme son rire. C'est un brouillard qui s'intensifie. Au début on voit encore à travers, puis, peu à peu, le monde autour de nous devient flou, jusqu'à ce qu'il disparaisse totalement. Bientôt, il oubliera la merveilleuse sensation qu'il éprouvait quand il caressait la peau de son dos, si douce, ou quand il l'embrassait.

Il voudrait s'accrocher à ces souvenirs olfactifs, mais ils s'en vont, lentement, inexorablement, comme s'ils jugeaient qu'il en avait joui assez longtemps. C'est un déchirement pour lui. L'oubli est une seconde mort.

Il se lève avant que le réveil se mette en marche, et se prépare un café qu'il va boire sur son nouveau canapé. C'est Camille qui le lui a fait livrer, trois jours après qu'elle ait découvert le dénuement dans lequel il vivait. Un sofa trois places, en tissu gris clair. Une petite carte manuscrite accompagnait le canapé.

« Avant de râler, sache que ce n'est pas un cadeau mais un prêt, il s'agit de mon nouveau canapé pour ma chambre d'amis, qui transitera par chez toi en attendant que tu investisses, parce que franchement, ça me saoule de m'assoir sur tes tabourets de bar (qui ne sont pas du tout confortables, soit dit en passant) (ni jolis) pour boire un verre. Je viendrai le tester samedi prochain, achète-moi du coca STP. Bisous mon petit poisson. »

Il est plutôt confortable, il est sobre, il va bien avec ses cartons.

Son deuxième café avalé, l'homme enfile ses vêtements de course et une casquette pour se protéger de la pluie qui sévit depuis quelques jours, chausse ses baskets. Il en faut plus pour le décourager, et, du bas de son immeuble en passant par le plan d'eau, le temple protestant, et la rue piétonne principale, il avale huit kilomètres avant de foncer sous la douche. Il est sept heures. Un troisième café finit de le raccrocher à la réalité.

Comme chaque matin, il est le premier à l'école. Il allume la photocopieuse, relève les mails et absence sur répondeur, prépare du café, remplit la bouilloire d'eau fraîche.

Sur le tableau blanc il écrit :

Rappel : Goûter de l'APE* à 16h15, faire sortir les élèves par la cour. Je paye un coup à ceux qui restent.

Gymnase indisponible première quinzaine de novembre (travaux)

Color-day rouge le jour de la rentrée

Prochaines réunions :

-Conseil des maîtres : jeudi 07 nov.

-Conseil d'école : vendredi 15 nov. à 17h

Colin Maillard et chat perchéTahanan ng mga kuwento. Tumuklas ngayon