Chapitre 29

213 36 42
                                    

Ana a l'impression qu'une chape de plomb s'est abattue sur ses épaules. Colin a quitté sa classe peu après, pas plus perturbé que ça, et elle est restée un moment, les yeux dans le vague, la bouche pleine de questions, sans plus personne à qui les poser. Combien de temps ? Comment ? Quel type de tumeur ? Quels examens ? Elle est allée chercher les réponses dans le bureau mais trop tard, il était vide. Après le choc, elle s'est mise en colère, dans la voiture qui la ramenait chez elle. On ne peut pas faire ça aux gens, leur balancer une telle nouvelle, au fait, je vais crever, ce sera peut-être même ici, à dix mètres de toi, allez, bonne soirée hein. Elle donnait de grands coups du plat de la main sur son volant, au rythme de sa colère. C'était trop beau. Il ne pouvait pas vouloir révolutionner leur petite école, leur petite carrière plan plan, et pouf, mourir comme ça, sans achever ce qu'il avait entamé.

Elle arrive chez elle, claque la porte, jette ses chaussures et son sac puis se dirige directement vers le réfrigérateur qu'elle ouvre brusquement. Il reste la moitié d'une bouteille de Pinot gris. Un verre, un deuxième. Ce n'est pas assez fort. Dans le buffet du salon, elle dégote une bouteille de vodka, boit son verre cul-sec, sans même y ajouter de la glace ou du jus de fruit. Elle se laisse glisser au sol. Ça brûle, ce n'est pas bon, ça fait du bien. A quatre pattes, elle va récupérer son téléphone dans son sac à main pour taper un message plein de bile et de rage.

De Ana : C'est dégueulasse ce que tu as fait. Tu abuses de ma confiance. Démerde-toi tout seul avec tes grandes idées, je raccroche mon tablier.

Ana fait le tour de son répertoire trois fois, elle n'a déjà plus les idées claires. Rien sous Colin, ni Le Guellec, ni Ecole, ni Directeur, rien, putain, rien du tout. Elle n'a pas enregistré son numéro. Sous le coup de l'émotion, elle a laissé sa pochette avec tous ses documents à l'école, elle n'a rien sur elle. Furieuse, elle balance son téléphone qui atterri un peu plus loin sur un bruit sec, et retourne vers son phare, la bouteille de vodka.

La colère ne retombe que bien plus tard, quand elle se réveille, le cœur en vrac, dans tous les sens du terme, submergée par la honte. La bouteille trône près d'elle, à côté du verre renversé. Elle se lève avec difficulté, tête lourde, bouche pâteuse et membres engourdis. Dans la salle de bains, Ana constate le désastre dans le miroir. Son visage est gonflé, avec sur la joue, la marque de son bras sur lequel elle s'est abandonnée. Sans parler du maquillage qui a coulé sous ses yeux bouffis.

Elle passe sous la douche, dans une manœuvre bien compréhensible pour laver sa honte, sa colère, sa tristesse. Ce n'est pas suffisant, mais elle n'a pas mieux. Un doliprane, et elle va directement se coucher. Il ne fait même pas encore nuit.

Endormie à vingt et une heures, Ana se réveille à l'aube, passablement désorientée, avec une barre qui lui vrille le crâne. La nuit a été horrible, agitée, peuplée de micro-rêves étranges. Gueule de bois, culpabilité, ou les deux ? Nauséeuse, le ventre noué malgré le repas sauté, elle ne se prépare qu'un café qu'elle va boire sur le canapé. La journée va être longue et compliquée. Elle ramasse son mobile au passage, décidée à se renseigner un peu sur les différentes sortes de tumeurs cérébrales. C'est en le déverrouillant qu'elle voit, éberluée, le message rédigé la veille. C'est pas possible, se dit-elle en passant le visage dans ses mains. Il y a peut-être un Dieu finalement, songe-telle encore en soupirant de soulagement de n'avoir pas eu le numéro de Colin. Mais qu'est-ce qui m'a pris ? Elle reprend sa tasse sur la table basse et avale une grande gorgée de café qui lui donne un coup de fouet autant que la vodka l'a assommée hier. A la lueur du jour nouveau, elle ne comprend pas son comportement extrême de la veille. Elle éprouve un certain malaise certes, de la peur et de la peine même, de se dire que Colin pourrait mourir brusquement, mais après tout, elle ne le connaît pas vraiment ce type, ce n'est pas son histoire, ce n'est pas sa vie, et elle a bien assez de casseroles comme ça à gérer.

Colin Maillard et chat perchéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant