Chapitre 40

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Nat est chez son père depuis la veille, et ce pour une semaine. Il a prévu de l'emmener en vacances en Sardaigne, Ana se demande si Clara sera de la partie. Elle a posé quelques questions innocentes à sa fille, pas dupe pour autant, et a appris que son ex-mari l'avait rencontrée à une avant-première de film (depuis quand s'intéresse-t-il au cinéma ?). Elle est infographiste, et a dix ans de moins que Xavier. 

Dommage que je sois séparée de Mehdi, ça aurait été sympa un dîner ensemble, grince Ana.

En attendant, elle a une semaine juste pour elle.

En rentrant de l'école, elle repasser chez elle pour déposer ses affaires et se rafraîchir, avant de rejoindre sa copine Emelyne, du cours de danse, qui lui a proposé de sortir dîner. Elle commence par fermer les volets devant la nuit qui tombe, puis lance une playlist aléatoire. Bercée par la musique, elle range le cabas contenant classeurs, pochettes et manuels scolaires dans un coin de la salle à manger qui lui sert de bureau, puis vide son sac repas des boîtes en plastiques et couverts qui terminent directement dans le lave-vaisselle. Dans la salle de bains, elle quitte jean et chemisier pour une robe bleu nuit, change de boucles d'oreilles, et se remet du rouge à lèvres.

Elle choisit ensuite le manteau qui s'accorde le mieux avec sa tenue, des escarpins et troque sa grande besace en cuir si pratique où elle jette pèle mêle toutes ses affaires contre un sac à main plus élégant. Dans la besace, entre ses papiers de voiture et un parapluie compact, elle retrouve le cadeau de Colin. Elle le détaille, le retourne, comme à la recherche d'un indice. C'est souple, de toute évidence, il s'agit d'un livre. Elle aimerait tellement l'ouvrir, pas tant pour découvrir de quel ouvrage il s'agit mais pour savoir pourquoi il lui a fait penser à elle. Mais il lui a fait promettre d'attendre. Encore douze jours à patienter, c'est beaucoup trop long.

En rentrant du restaurant, presque trois heures plus tard, c'est la première chose qu'elle voit, posé sur la console de l'entrée.

Sans quitter le paquet des yeux, elle ôte chaussures et manteau, puis le saisit dans ses mains.

Alors Colin, tu avais peur que je cesse de penser à toi durant ces vacances ? sourit-elle. Ça ne risque pas...

Et pourtant, ça lui aurait fait du bien, de mettre un peu de distance entre eux.

Elle pose le petit cadeau sur sa table de chevet, et va se démaquiller, se brosser les dents. Il est toujours là, à la narguer quand elle revient. Elle se couche, tente de lire un peu, sans pouvoir se concentrer sur sa lecture. Ana n'est pas une impatiente. Il y a des personnes qui veulent tout, tout de suite, ce n'est pas son cas, elle est plutôt raisonnable, sait différer ses besoins, patienter pour satisfaire ses envies. D'ailleurs, elle fait partie de ces personnes qui pensent que le meilleur moment, c'est l'attente. Quand elle était enfant, le matin de Noël, elle mettait le réveil très tôt, vers six heures malgré le coucher tardif du réveillon, elle se levait, avec Andres et Antonia, son frère et sa sœur, et ils attendaient ensemble, le cœur battant à tout rompre, le réveil de leurs parents pour pouvoir ouvrir les cadeaux que le vieux barbu n'avait pas manqué de déposer sous le sapin. Ana n'est pas une impatiente, mais là, elle doit bien se résoudre à admettre la vérité, elle ne pourra pas passer à autre chose tant qu'elle ne saura pas quel maudit bouquin se cache sous le papier kraft.

Elle s'assoit dans le lit, pose le paquet sur ses cuisses, et le regarde un instant, comme pour s'excuser de trahir la confiance de Colin. Une seconde, elle craint de s'emballer pour rien, ce n'est peut-être qu'un recueil de blagues sur l'école, ou le dernier titre d'un auteur branché qu'elle déteste. La déception serait cruelle, mais c'est impossible, à tout point de vu. Colin n'a pas pu penser à elle en lisant Musso. Elle décolle très délicatement le scotch, déplie le papier qui lui dévoile, sur une couverture en noir et blanc, le visage d'une femme blonde, cigarette à main. Rien ne s'oppose à la nuit, de Delphine de Vigan. Ana s'étonne. Elle connaît l'auteur, a déjà entendu parler de ce roman autobiographie qui narre sa relation compliquée avec sa mère malade, mais elle ne voit pas le rapport avec elle.

Colin Maillard et chat perchéWhere stories live. Discover now