Chapitre 44

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Depuis ce qu'Ana appelle pour elle-même « la soirée », ils sont plus proches. Ça n'a pas été facile de se quitter ce soir-là, comme si, après ces confidences et ce passé commun, ils avaient besoin l'un de l'autre, la profonde solitude qu'ils ressentaient chacun de leur côté s'endormant alors qu'ils étaient ensemble. Ils ont pourtant fini par quitter la terrasse, gelés, et Colin l'a embrassée sur les joues, simplement.

— Bon week-end, Ana. Repose-toi bien, tu en as besoin.

Elle n'a pas répondu, parce qu'elle savait qu'elle ne fermerait pas l'œil. Toute la nuit, elle a repensé au récit de Colin, confrontant sa propre douleur à la sienne, sans pouvoir toutefois imaginer la souffrance terrible qui doit vous vriller le corps et le cerveau quand on perd ainsi, si brusquement, son épouse et son enfant.

Au parc avec Julie, le lendemain, elle n'a rien dit des révélations de Colin. Malgré elle, elle se méfie maintenant du jugement de son amie, et en soufflant sur ses doigts gelés, assise sur le banc face au toboggan, elle s'est contentée de parler de sa réunion parents-d'élèves, et oui mes parents sont bien rentrés, et toi, ta semaine ? Le boulot ? Rodrigue va bien ?

Elle a passé la journée du dimanche en jogging, sirotant du thé aux épices, alternant ménage, travail et lecture sous la couette.

Et puis, le lundi, en arrivant à l'école, le regard de Colin, différent depuis qu'ils se sont confiés l'un à l'autre. Une connivence supplémentaire entre eux.  Je sais tout de lui, s'est dit Ana, en le voyant bavarder dans le couloir avec Anne-Marie et Émilie. Je suis au courant de ses deux plus grands secrets, et je suis la seule.

Elle en éprouvait une immense fierté, autant que le poids sur les épaules, parce que quelque part, elle se sentait encore plus responsable de lui. De la même manière, leur passé les rapprochait autant qu'il les éloignait, parce que décédée, Sandrine prenait beaucoup plus de place que vivante. Tant qu'elle les imaginait en couple, elle pouvait les croire peu soudés, en froid. Maintenant, elle sait que seule la perfection de son épouse reste dans la tête et dans le cœur de Colin. Elle n'a pas eu le temps de le décevoir. Ana ne fait pas le poids.

La vie a repris son cours. Bien décidée à mettre ses lectures des vacances et les conseils de Colin en pratique, Ana profite de la pause déjeuner de ce jeudi midi pour demander à son directeur de la guider dans la mise en place du travail par ateliers. Elle a eu beau se documenter, entre la théorie des livres, la vie rêvée des blogs et la pratique, il y a vingt-quatre élèves et ce n'est pas rien.

— Il n'y a rien de compliqué, explique-t-il, et cela ne te demandera pas plus de préparation. Par exemple, pendant que tu es avec un groupe, il y a un quart de la classe qui va faire des maths, l'autre un exercice de consolidation en grammaire, le dernier de l'art plastique. C'est juste qu'au lieu de les faire successivement, comme c'est le cas actuellement, tu les fais en même temps et ensuite, tu effectues la rotation.

— Quel est l'intérêt ? demande Ana, sourcils froncés.

— Déjà, pour le groupe que tu as avec toi, en atelier dirigé, tu peux mieux adapter le contenu aux élèves. Par exemple si tu leur proposes une dictée, au lieu de dicter quatre fois la même phrase, tu vas partir de la même base, et la simplifier ou la complexifier, ou donner davantage d'aide... Tu comprends ?

— Oui, c'est pas mal.

— Ensuite, tu n'es pas toujours avec le même groupe. J'imagine que dans ta classe, tu passes plus de temps avec les élèves en difficulté, non ?

— Oui, c'est vrai, avoue Ana, mais c'est normal...

— Bien sûr que c'est normal, mais on en vient à négliger les autres. Là, tu passes un petit moment avec  tous les niveaux de la classe, et je t'assure que même les très bons élèves seront content de t'avoir pour eux, quinze ou vingt minutes.

Colin Maillard et chat perchéWhere stories live. Discover now