JUILLET - Chapitre 9

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Deux semaines. Les pires de l'année. Tout le monde ne cesse pas de lui dire « C'est bon, juin, t'es déjà en vacances, franchement ? ». Mais non, au contraire. Elle a passé ses week-ends à corriger des évaluations, ses soirées à remplir les livrets scolaires et différents formulaires, ses nuits à se demander comment elle va finir le programme. Personne ne comprend ça, hormis les autres enseignants. T'es instit, t'as pas le droit de te plaindre. Un comptable, un avocat, oui, lui, il peut être charrette, mais une instit, non non. Ou pire : Bah ça, va, tu bosses dur un mois, t'en a deux pour te remettre, hein. Alors que n'importe qui passant une journée, une seule petite journée avec vingt-sept gamins fatigués, démotivés, dans une classe à trente-deux degrés pour leur faire encore apprendre des choses, les faire travailler, comprendrait pourquoi les profs ont autant besoin de vacances que leurs élèves.

Mais ça y est, c'est fini. Rangement, jeux, goûter, embrassades et au revoir. Alexis s'accroche la taille de sa maîtresse qu'il refuse de quitter. Pauline pleure aussi, elle déménage durant les vacances, change d'école et ne reverra plus ses camarades. Ana passe la main sur les têtes blondes, brunes, rousses, sur les cheveux lisses, bouclés, crépus. Elle fait des bisous sur les joues des petits qui réclament, répète ses dernières recommandations pour l'an prochain, puis la cloche sonne, et les enfants s'en vont, certains en courant, criant leur joie d'être en vacances, d'autre doucement, les larmes aux yeux, comme à regret. L'enseignante les regarde s'éloigner, mélancolique. Quand le dernier a franchi la porte d'entrée, elle retourne dans sa classe, rassembler ses affaires. Elle reviendra la semaine prochaine pour faire le grand rangement des vacances. Dans le couloir, il y a des cris, des rires, elle entend la bonne humeur des collègues qui devisent, Sandra qui chante « Libérée délivrée », alors Ana décide de se joindre à eux. L'association des parents d'élèves a organisé un petit goûter pour fêter le départ en retraite de Brigitte, afin de la remercier pour sa coopération lors des dernières années. Ils ne sont pas très difficiles, se dit Ana. C'est vrai que Brigitte est une crème, et ils ont pu mettre au point les manifestations qu'ils souhaitaient, à condition que rien ne déborde du temps scolaire. Ni kermesse, ni fête de l'école le samedi matin, hors de question de venir en dehors des heures. Bref.

Le comité de parents a disposé plusieurs tables dans la cour, à l'ombre du préau. Il y a du gâteau, de la brioche, du café et du coca tiède, même des fleurs pour la directrice. L'ambiance est sympa, c'est convivial. Ana aime bien partager un peu de temps avec les parents d'élèves. Ça discute, ça rit, on parle enfants, éducation, vacances, les futurs voyages de Brigitte, puis classe de l'an prochain, nouveau directeur. Ana aurait bien aimé que Colin soit là, mais il n'a pas dû être convié, ou il n'a pas voulu faire d'ombre à Brigitte. Tant pis, c'est sympa quand même.

Vers dix-huit heures, le papa de Kadhija se lève en s'excusant, il a un barbecue prévu ce soir, il doit y aller. Il lance ainsi le mouvement, et les autres l'imitent, commencent à ranger, se souhaitent de passer de bonnes vacances avant de se séparer. La petite troupe d'enseignants se dirige vers l'école maternelle pour le traditionnel repas de fin d'année. Pour le dernier, Brigitte a préféré un buffet convivial entre eux, plutôt qu'un resto où on ne parle qu'avec ses voisins. Chacun installe sur les grandes tables dressées ce qu'il a apporté, cakes et tartes salées, réductions, fromage et charcuterie, rosé, vin pétillant et punch. Le mari de Milla les rejoint alors que l'assistance s'apprête à écouter le discours de celle qui fête son dernier jour de travail. Les conjoints ne sont pas conviés, mais Samuel jouit du double statut instit/ex-collègue, il a travaillé deux ans avec Brigitte, et tout le monde est heureux de le voir. A peine pénètre-t-il dans la cour que Milla se jette sur lui, l'enlace et l'embrasse comme si elle ne l'avait pas vu depuis trois semaines. Ils rejoignent le groupe, bras dessus bras dessous, et Ana les regarde avec envie. Elle trouve ça beau, après tant d'années, de sembler encore si amoureux, elle qui n'a jamais connu ça, cette passion, cette fougue, ce besoin physique de l'autre. Elle repense à son mariage, aux années de vie commune avec Xavier. Tiède, chiant, mais gentil. Jamais elle n'a eu d'étoiles dans les yeux, comme celles qu'elle voit dans ceux de Milla.

Colin Maillard et chat perchéWhere stories live. Discover now