Chapitre 37

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Chaque mercredi commence de la même manière, sauf quand il y a un homme dans son lit, mais ce n'est pas si souvent.

Sandra dort tard, jusque neuf heures, neuf heures trente, puis elle déjeune devant la télévision, dessins animés et chocolat chaud dans lequel elle trempe des biscuits. Oui, à trente et un an, et alors ?

Ensuite, elle se douche, et brosse avec ses longs cheveux roux, ceux qui font qu'on la remarque, elle en est si fière. Il paraît que cent coups de brosse quotidiens assurent une chevelure parfaite. C'est long, mais elle aime ça. Elle s'habille ensuite avec soin, toujours une jolie tenue, on ne sait jamais, elle se dit que le jour où elle aura la grande nouvelle, il faudra qu'elle soit jolie, pas un banal jean-pull. Alors elle met un beau chemisier, un pantalon neuf, une robe élégante, un collier ou des collants à motifs, juste au cas où. Puis, vers onze heures, elle part pour la maternité de l'hôpital Claude Bernard. Elle se demande comment elle fera, le jour où, comme toutes celles autour, la maternité fermera pour un endroit plus moderne, en périphérie de la ville. Où pourra-t-elle aller ?

Toutes les sages-femmes la connaissent, depuis le temps. Certaines s'en fichent, d'autres la regardent avec pitié ou condescendance, c'est ce qui arrive le plus souvent. Il y a deux pimbêches, des aides-soignantes, qui rigolent sous cape, Sandra en est sûre. Comme si c'était drôle.

Elle n'a plus besoin de demander, dès qu'elle arrive, le personnel de service lui tend son dossier d'enfant née sous X, l'air navré parce qu'en général, elles savent qu'elle n'y trouvera rien de plus que la semaine précédente. Chaque semaine, Sandra l'ouvre, bouche sèche, mains moites et cœur battant, et chaque semaine, elle est déçue. A l'intérieur, il n'y a que la lettre qu'elle a écrite à destination de sa mère biologique, et une photo d'elle, parce que comme elle est plutôt joie, elle espère que si un jour sa mère vient elle aussi ouvrir ce dossier, ça pourrait lui donner envie de la rencontrer. Quoi, faut pas être hypocrite, voir que sa fille est devenue une belle femme, c'est quand même mieux que de découvrir un laideron. Mais a priori, personne d'autre qu'elle n'ouvre ce dossier, personne ne prend la lettre pour la lire, personne ne regarde cette photo où elle porte cette robe à rayures bleu marine et blanc. Personne ne laisse de petit mot, de post-it avec un nom, un numéro de téléphone. Personne n'a envie, ou besoin de la connaître, personne ne se demande ce qui est arrivé à ce petit bébé, deux kilos six cent, quarante-neuf centimètre, abandonné il y a trente-et-un an.

Alors, Sandra referme le dossier, retourne à l'accueil pour le rendre et dit :

— Bonne journée à vous, à la semaine prochaine.

Colin Maillard et chat perchéWhere stories live. Discover now