Chapitre 14

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Les bagages sont vite prêts pour Ana. Trois ou quatre shorts et autant de tops, quelques robes, deux maillots de bain, et basta. A Châteauneuf-du-Rhône, chez ses parents, elle a sa chambre et y laisse chaque année des vêtements, toutes ses affaires de toilettes, elle peut partir léger. C'est plus compliqué pour Nat qui a pris six centimètres depuis l'été dernier, et veut absolument emporter le contenu entier de son armoire avec elle. Ana limite : la valise de l'avion pour la Crête, un sac de voyage, rien de plus. L'ado râle, négocie, mais sa mère reste intraitable.

Julie passe en début d'après-midi boire un café, elle en profite pour récupérer les clefs et les restes du frigo qui ne survivront pas aux semaines d'absence de la propriétaire. Un brin de ménage ensuite, et Ana charge la voiture, avant de se mettre en route vers dix-neuf heures. Avant, elle préférait conduire le matin, très tôt, mais c'est de plus en plus dur pour elle de se lever à l'aube pour éviter les bouchons, et finalement, à choisir, elle préfère se coucher tard.

Les deux premières heures de trajet se passent sans encombre, elles discutent pas mal, de choses et d'autres. Ana est heureuse de passer ce moment en huis-clos avec sa fille qui n'est pas des plus bavardes habituellement. Elles s'arrêtent pour dîner sur une aire d'autoroute. Si ça n'avait tenu qu'à elle, Ana aurait préparé des sandwiches, ou une petite salade de riz à partager, mais pour une raison qui la dépasse complètement, Natacha adore acheter à manger dans les aires de repos et autres stations-services. Hot-dog caoutchouteux, croque-monsieur tiédasse, sandwich sous vide sec et insipide... elle est aux anges. Elle réclame aussi souvent des chips ou un yaourt à boire, des chocolats qui valent trois fois le prix de ceux du supermarché du coin, mais c'est son plaisir, la première étape des vacances, et Ana n'a jamais le cœur de lui refuser quoique ce soit, surtout qu'elle ne sort plus sa carte bancaire du séjour ensuite, sa mère y met un point d'honneur.

De retour dans la voiture, Nat enfile ses écouteurs, en adressant un sourire un peu contrit à sa mère, signifiant la fin de la parenthèse. Elle s'endort rapidement, et Ana peut au moins augmenter le son de l'autoradio.

Il est presque une heure trente quand Ana coupe le contact de sa 308 devant la maison de ses parents. Elle sort de la voiture, s'étire en baillant, satisfaite. Demain elle se réveillera avec le chant des cigales. Elle secoue Nat doucement, sort du coffre le petit sac de toile qui contient leurs affaires de la nuit et ouvre sans bruit la porte du grand mas de ses parents avec son jeu de clefs. L'aile gauche est celle des invités. Chacune retrouve sa chambre, son lit aux draps fraîchement changés. Le faible remue-ménage réveille Amalia, la mère d'Ana, qui ne dort que d'un œil en attendant la famille, et les rejoint en chemise de nuit, le temps d'embrassades, avant de retourner se coucher.

Nat s'effondre sur son lit et se rendort immédiatement, mais sa mère prend le temps, malgré la fatigue, de passer dans la salle de bains privative. Elle se douche, se démaquille, se brosse les dents et enfile une chemise de nuit avant d'ouvrir délicatement la porte fenêtre qui donne directement sur le côté du jardin. Il est toujours aussi beau, propre, bien entretenu. C'est le grand plaisir de Thierry, son père, lorsqu'il rentre de la centrale, s'occuper de son jardin. Tailler les rosiers, entretenir les haies, ratisser les allées, tondre bien ras.

Ana va jusqu'à la piscine, mais elle est soigneusement bâchée, comme chaque soir. Jamais son père ne la laisserait découverte, au risque de retrouver une feuille ou un malheureux insecte à l'intérieur. Faute de pouvoir tremper ses pieds dans l'eau, elle marche encore un peu, respire une brassée de lavande dans un bosquet, écoute les stridulations des sauterelles nocturnes. Thierry lui a expliqué que les cigales ne chantent que le jour. La nuit, en été, ce sont les sauterelles qui prennent le relai. Elle est contente d'être là.

Son père a débuté sa carrière d'ingénieur à la centrale nucléaire de Fessenheim dans les années quatre-vingts, avant d'être muté à un meilleur poste à Cattenom, en Moselle, où il avait travaillé plus de dix ans en tant que responsable de l'environnement. Après tant d'années de bons et loyaux services, il avait obtenu la centrale qu'il convoitait, l'usine hydraulique de Basse Isère, dans la Drôme. Amalia et Thierry avaient immédiatement adoré la région. Ils s'éloignaient d'Ana, restée à Metz, mais se rapprochaient de leurs autres enfants qui vivaient à Lyon et à Châlon-sur-Saône. Au bout de deux ans, ils avaient utilisé les trente ans de loyers économisés grâce aux logements de fonction et avaient fait construire le grand mas qui accueillerait désormais leur famille aux vacances.

Colin Maillard et chat perchéWhere stories live. Discover now