Juin - Chapitre 99

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C'est la dernière semaine de Colin. Trois jours, et ce sera fini, jusqu'à l'année prochaine. Au mieux. Hier, lundi de Pentecôte, il a même passé la journée à l'école, enchaînant les tâches administratives.

Il semble à bout de force. Plus cerné que jamais, il passe ses pauses déjeuner et ses fins d'après-midi  en réunion d'équipes éducatives ou avec la mairie, ses soirées et ses nuits à taper les comptes-rendus, faire du tri, du rangement, à préparer la prochaine rentrée. C'est comme un grand départ. Il a bien recommandé aux enseignants de lui donner leurs factures en retard afin qu'il les rembourse avant de partir, signe des chèques, tape des listes d'élèves, valide des inscriptions, transmet aux services municipaux les demandes de menus travaux. Tout ce qu'il peut faire, pour laisser le moins de travail possible à Laurence.

Ana l'observe s'épuiser, inquiète. Il va devenir transparent tant il est maigre. Mais il ne se plaint pas, conserve son sourire et sa bonne humeur. Entre ses réunions et les tâches qu'ils s'imposent, ils n'ont plus eu l'occasion de se voir en tête-à tête dans leur ancien refuge, et c'est aussi bien. Ça n'a plus de raison d'être maintenant.

Il lui propose pourtant une ultime escapade, le vendredi matin. Leur dernière journée à travailler ensemble. L'ambiance est étrange à l'école, tout le monde marche sur des œufs.

Finalement, c'est bien qu'il ait annoncé les deux bombes en même temps. Personne n'est jamais revenu sur son drame familial et ses mensonges, en tout cas, pas devant Ana, et quand il reviendra, dans trois mois, tout sera oublié.

Lors des dernières semaines, il a réalisé les examens prescrits, tout s'annonce plutôt bien pour l'opération. La tumeur n'est pas trop mal située et n'approche d'aucune structure nerveuse vitale  malgré sa taille. Si elle est bénigne comme tout le porte à croire, il ne devrait pas y avoir de séquelles, ni de rééducation nécessaire. La convalescence est plus incertaine, très différente selon les patients. Des troubles de la concentration, du sommeil, un stress particulier peuvent subsister durant plusieurs mois, mais Colin reste confiant. En septembre, il sera d'attaque.

Ana a le cœur lourd. En plus de l'inquiétude de l'intervention et des résultats qui l'étreint douloureusement, s'ajoute la peine de ne plus voir Colin. Les murs de la grande école vont lui paraître drôlement vides sans lui, la salle des maîtres bien triste sans son sourire et ses yeux pétillants. Il va tellement lui manquer.

— Bonjour Ana, murmure-t-il derrière elle.

Elle se retourne doucement. Il semble si fragile, elle a l'impression que si elle soufflait sur lui un peu trop fort, il tomberait.

— Bonjour Colin, comment vas-tu ? 

Il hausse les épaules.

—  Ça va. Ça me fait tout drôle de me dire que c'est mon dernier jour ici avant longtemps. J'espère vraiment que je pourrai venir à la fête des talents, mais je ne suis pas certain d'être présentable. Le docteur Ballard, le neurochirurgien, m'a dit que les œdèmes consécutifs à l'opération peuvent durer plusieurs semaines.

— Oh mon Dieu, souffle Ana.

— Ne t'en fais pas.

— Colin, je suis bien au-delà de la simple inquiétude, et ce depuis bien longtemps.

Il ne répond pas, se contentant de la regarder sans sourire, puis se dirige vers la porte.

— J'ai encore beaucoup de travail si je veux que tout soit nickel. On se voit toujours ce soir ?

— Bien entendu.

La journée passe beaucoup trop vite. Colin n'apparaît même pas à midi, trop occupé à tout mettre à jour, comme s'il craignait la fin du monde si tout n'était pas parfait.

Colin Maillard et chat perchéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant