AOÛT - Chapitre 17

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Milla n'aime que la chaleur. Plus il fait chaud, plus ça lui plaît. Trente-cinq à l'ombre, ça ne lui fait pas peur. C'est pour ça qu'elle a grincé des dents quand Samuel, son mari, lui a proposé de passer les vacances en Normandie.

Mais c'était ça, ou rien.

Quand Alice est née, il y a quatre ans, l'appartement de Sam, où ils vivaient, leur a subitement paru tout étriqué. Ils avaient utilisé le bureau pour faire la chambre de la petite, ils devaient à présent travailler dans le salon, et deux enseignants sous le même toit, ça fait un sacré paquet de classeurs et bouquins qui traînent. Conjugués aux jouets qu'Alice aimait semer n'importe où, sauf dans sa chambre, ils ont vite été submergés. Lorsque Milla est tombée enceinte de leur seconde fille, ils en ont profité pour déménager. Samuel a vendu son appartement, et ils ont pris une location avec trois chambres, le temps de trouver une maison qui leur plaisait. Vaste projet : Milla était intransigeante sur le secteur, elle voulait rester dans son quartier, et Sam avait une idée très précise de ce qu'il attendait en termes d'architecture. Ils ont néanmoins fini par avoir un coup de cœur commun, sur une vieille maison de ville, qui remplissait tous leurs critères. Seulement, elle était en piteux état, et en plus du prix d'achat et des frais de notaire, il fallait ajouter une belle enveloppe et plusieurs mois de travaux pour en faire ce dont ils rêvaient.

Ils ont cassé leur PEL, utilisé l'argent de la vente de l'appartement de Sam, et de celui que Milla avait acheté avec Fred, son ex-mari, fait un emprunt pour le reste. Le père de Samuel, son frère Antoine, Olivier et Christophe, les meilleurs amis, prêtent main forte au jeune homme, pour leur permettre d'emménager avant l'automne.

Dans ces conditions, ils n'ont pas prévu de partir en vacances mais quand une collègue de Martine, la mère de Samuel a proposé de leur prêter son appartement en Normandie parce que ses locataires à la semaine viennent de lui faire faux-bond, Sam était enchanté.

— Ça te dit, mon amour ? Juste une petite semaine, pour prendre l'air...

Milla a grimacé. Elle a pensé aux vingt degrés, au vent qui souffle constamment, à l'eau froide de la mer, et aux cartons qu'elle devait encore remplir ici. Août était bien entamé, ils avaient encore beaucoup à faire, sans parler de la rentrée à préparer. Mais Sam l'a regardée avec ses grands yeux outremer pleins d'espoirs. Lui qui n'exige jamais rien, il avait vraiment envie de ce voyage. Alors, il n'y avait plus de débat. Et finalement, une semaine de liberté à quatre, loin de Metz et de cette baraque à retaper qui dévore tout leur temps, ça leur fera du bien, même si elle doit mettre un jean à la plage.

***

A cinq heures du matin, Milla sort avec précaution Alice de son lit. La petite ouvre les yeux, et les referme quand elle constate qu'elle est dans les bras de sa maman. Milla la dépose très doucement dans son siège auto et la recouvre d'une fine couverture, avant de lui mettre son doudou dans les mains, que l'enfant attrape dans un geste automatique. Elle ouvre une nouvelle fois les yeux, fronce les sourcils.

— On est où ? demande-t-elle d'une voix ensommeillée.

— Dans la voiture. Dors, mon ange.

Elle regarde son papa attacher sa petite sœur dans son propre siège, avant de prendre place à l'avant. Tout le monde est là, tout va bien. Et elle se rendort.

La première heure se déroule dans le calme. Le jour est levé, encore pâle, mais annonçant déjà une belle journée. Il y a peu de trafic, ils ont bien fait de partir tôt. Milla étend ses jambes, regarde le beau profil de son mari qui conduit et soupire de bien-être. Il a branché son lecteur mp3 et diffuse leur playlist préférée, pas trop fort pour ne pas gêner les enfants, le voyage commence bien. Ils changent d'avis dix minutes plus tard, quand Rose se réveille. Immédiatement, la petite entre dans une rage noire. Par sécurité, elle est encore dos à la route, ne comprend pas pourquoi elle se retrouve assise dans son siège auto, à fixer le dossier de la banquette, et non pas dans son lit, avec son mobile, le visage de ses parents et le biberon tiède qui arrive. Elle se met à donner de la voix. Milla se contorsionne pour essayer de lui donner sa tétine, mais elle la crache, elle ne veut pas ce stupide morceau de plastique, elle veut du lait, et tout de suite. Elle réveille évidemment Alice, qui se met à pleurer aussi, et pourquoi elle pleure Rose, elle fait trop de bruit, et j'ai envie de faire pipi, et moi aussi je veux mon lait, pourquoi on est dans la voiture, j'aime pas la voiture le matin, je veux aller à la maison. Milla regarde Sam, l'air désespéré. Sam regarde Milla, les yeux écarquillés. Sa main droite quitte le volant pour serrer celle de sa femme. Ensemble, quoiqu'il arrive

Ils s'arrêtent à l'aire d'autoroute suivante, près de Reims. Sam change le bébé, Milla emmène la grande aux toilettes, puis tous prennent un bon petit déjeuner. Alice a droit à un croissant aux amandes et un chocolat avec de la crème fouettée, elle est enchantée. Rose n'a encore droit qu'à son biberon et deux boudoirs mais elle n'en demande pas plus. Repues, les fillettes sont plus agréables, jusqu'au moment où elles remontent en voiture. La cadette panique, se débat pour ne pas entrer dans son siège auto, puis manifeste bruyamment son mécontentement les cent kilomètres suivants. Alice ne dit rien, comme la bonne petite qu'elle est, elle commence par passer des livres cartonnés et des peluches à sa sœur qui les balance rageusement, puis se concentre sur son coloriage. Milla lui demande quand même de cesser de dessiner, une fois qu'elle a rendu le contenu de son petit déjeuner sur la moquette du T-Roc. Milla regarde Sam, Sam regarde Milla. Il reste quatre heures de route et ça sent le mort.

Heureusement, Rose a fini par comprendre que rien ne servait d'hurler, que ça n'allait pas la faire sortir de cette maudite voiture, et les filles se sont rendormies. Sam traverse Paris sans trop d'encombres, et avale les kilomètres tant que les enfants dorment. Ils arrivent finalement un peu avant treize heures sur leur lieu de vacances. Milla regarde le thermomètre sur le tableau de bord, il indique vingt-deux degrés. En soupirant, elle enfile un gilet, faisant fi des moqueries de son mari, et sort de la voiture. Ils délivrent les petites, et malgré la faim qui commence à se faire vraiment ressentir, prennent quelques minutes pour aller jusqu'au bord de l'Atlantique. Alice pousse un hurlement de joie en apercevant l'océan, Rose, du haut de ses quatorze mois, titube comme un vieux bonhomme ivre après les mouettes en gloussant. Sam entoure son épouse de son bras, elle pose la tête sur son épaule, leur regard attendri posé sur leur progéniture.

— On va être bien ici, murmurent-ils en même temps.

Colin Maillard et chat perchéWhere stories live. Discover now