7. Sursaut

35 6 65
                                    

Morgane leur fit gravir trois étages. La lumière chiche dévoilait une cage d'escaliers étrangement nue, des marches de pierre d'une régularité stupéfiante, comme taillées dans un même bloc, une rampe noire, en métal, ferme sous leurs mains.

Une tour, songeait Arthur, en suivant son compagnon de misère.

Son flanc l'élançait, son souffle sifflait entre ses lèvres sèches. Si la brume du maléfice l'avait déserté, ses tempes lourdes pulsaient de fatigue et d'horreur.

De temps en temps, à la faveur d'un tournant, il croisait le regard d'Hector et lisait l'inquiétude dans ses yeux noirs et les plis de son front. Chaque pas semblait les éloigner irrémédiablement de leur foyer, des combats qu'ils avaient à mener, du destin formidable qu'il leur avait été promis.

Merlin me trouvera. Mes chevaliers se mettront en quête. Leur roi ne restera pas prisonnier.

Car c'était ce qu'il était. Captif et impuissant.

Résister à l'impulsion de se retourner pour étrangler la diablesse qui le suivait lui parut un moment impossible.

— Tu as fort mal ?

Sa question imprévue coupa tout élan belliqueux. Son ton lui rappela instantanément leurs jeunes années, à Tintagel, quand elle avait dix ans, qu'il en avait cinq, qu'elle le dorlotait encore à ses heures, s'inquiétait de ses plaies et bosses, de l'état de ses vêtements, de la propreté de ses mains.

— Ça va, grommela-t-il.

Sans doute aurait-il répondu exactement de la même manière, vingt ans plus tôt.

Vingt-cinq ? Trente ? Davantage ?

Quoi qu'il en soit, il demeurait un jeune coq. Elle le lui avait dit cent fois.

Hector s'était immobilisé sur un palier, devant une porte marquée d'un chiffre 3 à l'encre noire. Arthur songea au A qui avait orné le passage secret et frémit. Ce symbolisme devait être chargé de pouvoir.

— On sort, on part à droite. C'est au bout du couloir, expliqua Morgane.

Hector s'exécuta sans rien dire. Ils débouchèrent dans un conduit obscur, bordé de nombreuses portes. Un lourd silence planait, comme s'ils étaient à l'intérieur d'un caveau enfoui. Des points de lumière verte, placés à intervalles réguliers, permettaient de se repérer.

— Placez vous contre le mur, ordonna la jeune femme d'une voix sourde. Face contre le mur. Je veux voir vos mains, à plat, tous les deux. Je voudrais croire que vous n'allez pas faire n'importe quoi mais... ah... quelle imbécile.

Hector avait déjà obéi. Arthur l'imita à contrecoeur, tout en lui lançant des regards aigus. Mais le visage du général étranger ne reflétait rien que l'ombre. Morgane se glissa derrière eux pour atteindre la porte. Elle brandit son flacon vers eux tout en se détournant pour introduire une clé dans la serrure. Arthur entendait le souffle ample de son compagnon, devinait la tension de ses muscles. Il était prêt à agir. Il allait agir. Le moment était venu.

Un cliquetis retentit quand la serrure se débloqua. Au moment où Morgane poussa la porte, Hector bondit sur elle, Arthur dans la foulée.

— Bonjour Nina, annonça une voix féminine, enjouée.

Des lumières étincelantes jaillirent de toutes parts, éblouissant Arthur, tandis qu'un sifflement aigu retentissait quelque part. Hector poussa un cri de stupeur, de douleur, et percuta le jeune roi, qui heurta le mur avec fracas.

— MERDE, ABRUTI ! s'exclama Morgane.

Arthur se sentit attrapé par l'épaule, tiré vers l'avant, puis il tomba sur les genoux et il entendit la porte claquer dans son dos.

Les Héros de Rien (en cours)Where stories live. Discover now