18. Communion

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Hector finit par forcer une porte. Arthur en fut scandalisé, mais nécessité fait loi, et ils pénétrèrent à pas de loup dans le bâtiment désert. Heureusement la lumière de l'extérieur filtrait au travers des vitraux, les gratifiant de taches colorées qui nimbaient le mobilier et la pierre. Arthur faillit replonger dans une contemplation émerveillée, mais Hector l'agrippa par l'épaule et le remorqua jusqu'à la nef.

Il faisait froid, silencieux, une odeur de renfermé flottait dans l'air. Le moindre pas se répercutait en écho sur la voûte distante. Des rangées de sièges s'alignaient jusqu'au fond de la pièce, face à un autel. L'ombre de la croix se dessinait, noire, sur le sol. En s'avançant vers le choeur, Arthur sentit son coeur battre plus fort. Il se souvint de la lutte qu'avaient menée les milices célestes, dans le ciel, alors que Merlin le forçait à fuir. Peut-être les choses auraient-elles été différentes s'il avait combattu, ce jour-là.

La veille, en réalité. Mille ans semblaient s'être écoulés.

Il croisa les doigts et prit une profonde inspiration.

— Doit-on offrir quelque chose ? demanda Hector d'une voix sourde. Nous n'avons rien à sacrifier.

— Quoi ?

— Ton Dieu. Ne doit-on pas lui faire une offrande ? Un sacrifice ?

Arthur sourit dans le noir.

— Non. Ce n'est pas ce genre de Dieu.

— Comment vas-tu attirer son attention ?

— Il va entendre ma supplique. Ne t'inquiète pas.

Dans son halo rouge et vert, Hector parut peu convaincu mais il acquiesça.

— Dois-je faire quelque chose ?

— Assieds-toi.

Le siège craqua sous le poids du guerrier mais ne céda pas. Arthur s'agenouilla face à l'autel et joignit les mains. Ensuite il pria.

Les mots exacts lui échappèrent, ce qui le décontenança un rien, mais il improvisa. Loua le Seigneur. S'excusa pour ses péchés.

L'image d'Hector, à moitié nu, allongé près de lui, surgit dans son esprit, lui crispa les entrailles, l'emplit de honte.

S'était-il fourvoyé jusqu'à se damner ?

Il demanda pardon, promit de ne plus s'égarer, il avait prononcé des voeux, songea à Guenièvre, sa pieuse épouse, au Graal, à ses chevaliers en quête, qui risquaient leur vie pour la gloire de Dieu.

Il pria pour un guide, une voie qui le ramènerait chez lui, en Bretagne, à Camelot, sur la terre qu'il était né pour gouverner.

Dans la lumière.

Le silence et la nuit.

Le froid s'immisçait dans son manteau, sous sa tunique, une tension lui nouait les épaules et les mollets, son dos l'élançait là où il avait heurté la table, son flanc restait douloureux, et le souvenir de la souffrance infligée par le sortilège lui arracha un frisson.

Il chercha une flamme dans les ténèbres de son crâne, paupières closes, bouche ouverte sur les murmures éperdus de sa requête. Seule sa carcasse pulsait. Son coeur. Sa poitrine. Chacun de ses muscles.

Le néant autour de lui.

Rien.

Sans le vouloir, il gémit.

Il était seul. Abandonné. Arraché à sa légende. Privé de son destin.

Il vacilla sur ses genoux puis prit conscience de la présence d'Hector, juste derrière lui.

— Arthur, souffla le Troyen.

— Il n'y a personne, murmura Arthur. Absolument personne.

— Il y a moi.

C'était vrai.

Il s'offrit à son étreinte sans plus aucune arrière pensée.

Il ne songea qu'un instant au sacrilège de leurs corps joints en cet endroit. Une église vide, désertée, n'en était plus une. La chaleur n'émanait que des mains du Troyen, de ses lèvres, de la peau de son ventre, de ses cuisses, de sa poitrine.

Réconfort. Il ne demandait rien d'autre. Ni solution, ni porte de sortie.

Embrasement.

Les derniers relents de son agonie matinale se dissipèrent sous les doigts de son compagnon. Arthur n'entendait rien à cette danse, il n'était pas sûr de l'avoir jamais esquissée, même avec son épouse. Il se livra sans crainte, d'abord timide, puis affamé. Hector le dévora tout entier, du front à la gorge, aux mamelons, à l'aine, qu'il couvrit de baisers secs, avant d'effleurer son sexe de la langue. Le jeune roi s'arcbouta pour en demander plus, sut qu'il aurait dû s'enfuir, se rhabiller, dire non, non, non, jamais, blasphème, scandale, déshonneur.

Diablerie.

Maléfice.

Péché mortel.

Il dit oui. Mille fois oui.

Hector rit et l'engloutit.

Misère, songea Arthur, avant de perdre pied.

Son esprit se sublima en un point extrême et délicieux, et tout le reste cessa d'exister, pendant un battement de coeur, puis dix, puis cent.

Quelque chose échappait à sa gorge sans qu'il puisse le retenir, un chant qui se répercuta sur la pierre autour d'eux, en un écho magnifique qui lui assura que tout était bien.

Bon. Beau.

Sans retenue.

Il explosa.

Il reprit conscience sous les caresses de son amant. Sa peau vibrait, comme s'il s'était disjoint puis réassemblé d'une manière légèrement différente. Hector lui embrassa les lèvres, Arthur les entrouvrit pour l'accueillir.

Hydromel.

Il en voulait davantage.

La main du Troyen lui flattait les fesses, se glissant entre elles, puis les empaumant, avant de reprendre ses arabesques nonchalantes. Un doigt s'attardait par moments contre son intimité, la pressant doucement, avant de s'éloigner. Arthur le sentit s'immiscer légèrement à l'intérieur, une sensation surprenante. Au passage suivant, il se cambra pour l'aider à pénétrer plus avant. Hector le serra plus fort contre lui, puis enfonça son doigt en lui et l'y laissa. Arthur haleta dans sa bouche et le Troyen interrompit leur baiser.

— Tu es sûr ? souffla-t-il.

— Oui, répondit Arthur, sans savoir dans quoi il s'engageait.

Je suis à toi, voulait-il dire.

Plus, il voulait le répéter, le hurler, même, mais il se mordit les lèvres.

La lumière chiche ne révélait rien mais Hector n'en demanda pas davantage.

Le reste ne fut que jouissance et confusion, comme le Troyen prenait possession de ce qui lui était offert.

— Je suis à toi, avoua Arthur, encore et encore, alors que la tempête l'ébranlait dans chacune des fibres de son corps.

Le sentiment de solitude qui l'avait paralysé tous ces derniers jours, à Camelot, dans les bois, se dissipa dans la flambée formidable qui brûlait en eux et tout autour. Il s'y consuma tout entier, jusqu'à l'extase.

Un cri primal.

— Tu es à moi, admit Hector dans un soupir.

Enfin, salvateur, le néant.

Les Héros de Rien (en cours)Dove le storie prendono vita. Scoprilo ora