1. Un combat contre les ténèbres

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En tant que cavalier émérite, Arthur ne comprenait pas pourquoi il lui fallait se déplacer à pied. Les explications de Merlin lui avaient paru floues, une histoire de fleurs sauvages trop appétissantes qui donnaient la colique. Le jeune roi avait argué qu'il se sentait parfaitement capable d'empêcher sa monture de brouter en bordure du chemin, Merlin avait rétorqué que faire un peu d'exercice ne pourrait pas lui faire de mal. Tout ça paraissait inutile et étrange, d'autant que le vieil enchanteur l'avait ensuite transporté directement en pleine campagne, en usant de sa magie.

Depuis le départ des chevaliers pour la quête du Graal, Arthur veillait à la défense de Camelot dans une relative solitude. Bien sûr, il disposait de soldats pour les escarmouches ordinaires, mais les forces de l'ombre, averties de l'absence des preux les plus solides, semblaient avoir décidé de mener des assauts répétés sur la cité. Pratiquement chaque jour, Merlin entrait dans ses appartements pour l'avertir d'une menace qui requérait son expertise, et la lame formidable d'Excalibur.

Arthur prenait son épée, revêtait son armure, puis partait en campagne pour affronter l'ennemi. Ceux-ci le sous-estimaient grandement car ils arrivaient généralement seuls ou à deux. Un lion gigantesque, une paire de sangliers, un guerrier en plates noires, un duo d'assassins en guenilles. Le jeune roi ne pouvait s'empêcher de penser qu'un peu de coordination aurait été plus efficace, mais il n'allait pas se plaindre de la stupidité de l'adversaire car, seul, il était immanquablement diminué.

Ces duels réguliers trompaient l'ennui. L'absence de Lancelot, de Perceval, de Gauvain était une chose, mais celle de Guenièvre, une autre encore. Sa reine avait décidé de se retirer un moment au couvent, pour y renouer avec Dieu. Arthur avait respecté son désir mais regrettait de ne pas en avoir profité pour se glisser dans le sillage d'un de ses chevaliers. Sous une fausse identité. Il aurait conservé son heaume, ou Merlin aurait altéré ses traits par magie. Ça n'aurait pas été la première fois que pareil subterfuge aurait servi une noble cause.

Défendre le royaume avait ses mérites. C'était son rôle, après tout.

Autour de lui, la forêt déployait ses trésors. Les arbres revêtaient des feuillages d'un vert étincelant, des fleurs jaunes parsemaient le sentier, et les oiseaux pépiaient dans les branchages bas. Un lapin traversa le chemin juste avant qu'il débouche dans une clairière comme il en existait mille dans la forêt de Brocéliande.

Un ravissement pour les yeux. Un dolmen moussu, un bassin couvert de nénuphars, un saule triste, des rangées de bouleaux. Une biche et son faon l'observèrent tandis qu'il s'avançait dans l'herbe couverte de rosée, puis décidèrent de s'écarter de quelques bonds gracieux.

Malgré lui, malgré la gravité de la situation, le combat à venir, Arthur prit une profonde inspiration pour inviter le printemps dans ses tripes. Saison du renouveau, saison de la lumière.

Il leva les yeux vers le ciel, guettant un signe dans les nuages. Il savait d'expérience que l'ennemi viendrait à lui en ces lieux magnifiques. Sa destinée s'inscrivait en prouesses lumineuses, en duels de légende. Ainsi l'avait voulu Dieu.

Sous sa paume, Excalibur vibra doucement, comme pour le prévenir de l'arrivée imminente d'un danger. Arthur obtempéra en l'ôtant de son fourreau brodé. Il se débarrassa ensuite de sa ceinture, qui le gênait toujours quand il combattait, puis fit danser la lame dans les rayons du soleil. Son tranchant effilé dessinait des arcs-en-ciel sur l'eau de la mare et le gris des rochers dressés.

Arthur, tu rêves. Est-ce digne d'un roi ?

Il se prit à sourire. Pourquoi pas, après tout ? Il avait arraché l'épée à la pierre, défait ses adversaires, tracé les préceptes d'une chevalerie formidable. Un rêve qui était devenu réalité.

Les Héros de Rien (en cours)Where stories live. Discover now