21. Secouru

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La porte s'ouvrit sur Nina.

Ses yeux horrifiés croisèrent ceux d'Arthur et elle l'entraîna à l'intérieur en l'agrippant par l'épaule. Il perdit aussitôt l'équilibre et s'écroula à quatre pattes sur le tapis. Sa conscience papillonna. Sa poitrine semblait sur le point d'imploser dans la douleur. Il résista de toutes ses forces à l'appel de la nuit.

— Une serviette, merci, souffla une voix qui ne s'adressait pas à lui.

Il sentit qu'on le redressait, qu'on l'attirait vers un fauteuil, puis une étoffe douce lui frôla le visage, les cheveux. Il se recroquevilla, glacé.

— On l'aura vu, Nina, putain, on l'aura vu. On est dans la merde complète !

La voix de la fée. Leo.

— Ce n'est pas le moment !

Deux paumes fermes sur ses genoux.

— Arthur, est-ce que ça va ? Arthur ! Regarde-moi...

Les prunelles vertes de Nina trouvèrent les siennes. Un long frisson l'ébranla. Elle paraissait aussi désemparée que lui.

— Hector, souffla-t-il.

Des doigts lui effleurèrent la joue.

— Il t'a fait du mal ?

De quoi parlait-elle ? Il recula hors de sa portée.

— Non ! protesta-t-il. Non ! Il est...

— Où ? aboya subitement Leo, quelque part sur sa droite. Où il est ?

Arthur se replia sur lui-même, honteux, éperdu.

— Arrête de lui crier dessus ! Tu ne vois pas qu'il est sous le choc ?

— Merde, Nina ! Il y a trois minutes, c'est toi qui hurlais ! Il faut qu'on récupère l'autre rapidement !

— Arthur est rentré. C'est le principal, il est rentré. Je vais lui faire un thé. Un thé pour tout le monde, en fait, ensuite...

— Non !

Arthur avait crié à son tour, d'une voix qu'il reconnut à peine, rauque, brisée par la course et l'angoisse.

— Hector a besoin d'aide. Je l'ai laissé tout seul... Il ne s'éveille pas. Après la nuit... il ne s'est pas réveillé.

Les deux femmes le dévisagèrent, il les vit à peine. Nina la sorcière brune, Leo la fée aux cheveux verts. Ses geôlières. Maudites créatures aux pouvoirs obscurs.

— Vous lui avez lancé un sortilège pour nous punir ? geignit-il.

En prononçant ces mots, il sut que c'était faux. Il s'était raccroché à cet espoir, qu'en rentrant dans leur antre, il pourrait négocier quelque chose, une reddition en échange d'un élixir salvateur. Mais les forces qui avaient foudroyé Hector ne résidaient pas en cet endroit, il le lut dans leurs expressions stupéfaites.

— Il est mort ? souffla Nina, pâle comme la neige.

— Non, non... il est... endormi.

— Il faut qu'on aille le chercher, Nina, intervint Leo. Maintenant. Qu'il soit mort ou vivant.

Nina acquiesça vivement, mais ne bougea pas d'un pouce. Arthur chercha un signe, sur son visage, qu'elle maîtrisait la situation. Il ne vit qu'un reflet de sa propre angoisse.

— Vous allez pouvoir l'aider ? chuchota-t-il, craignant une réponse qu'il sentait abominable.

— Pas si on reste plantés ici, trancha Leo. Il est où ?

— Je l'ai laissé dans une église, murmura Arthur. Une église abandonnée.

Nina lui sourit bravement, bien que ses yeux restent troubles.

— Une église. Bien sûr. J'aurais dû y penser.

— On se bouge, la coupa Leo. Va lui chercher au moins... une perruque... des lunettes de soleil. On ne peut plus le laisser cavaler comme ça.

— Oui.

Nina se mit en mouvement, Arthur demeura dans le salon, vacillant, sonné. Leo se campa devant lui, l'obligeant à lever les yeux.

— Elle ressemble à quoi, ton église ? Parce qu'il y en a quelques-unes dans les parages, mine de rien.

Il rassembla ses idées, frissonna à nouveau.

— Deux clochers. Elle a deux clochers.

— C'est sans doute Saint-Michel. On devrait pouvoir y être en une petite heure, intervint Nina.

Arthur la laissa le manipuler comme s'il était une poupée. En réalité, ce n'était pas très différent de s'abandonner aux bons soins d'un écuyer. Tandis qu'elle le dépouillait de son manteau trempé, qu'elle lui mettait un couvre-chef sur le crâne, il songea furtivement à Girflet, à sa maladresse, ses esquives, sa terreur le dernier soir. À la lumière des événements, Arthur réalisait que le gamin avait dû savoir que quelque chose de terrible était sur le point de se produire.

— Tu crois qu'ils auraient couvert autant de terrain ? demanda Leo. C'est à quoi... quinze-vingt kilomètres ?

— Ce sont des hommes entraînés. Ce n'est rien, pour eux.

Nina l'aida à passer un gambison de laine, puis lui tendit une veste dans un tissu qui ressemblait à de la toile cirée doublée de velours pelucheux. Dès qu'il l'eut sur les épaules, la sensation de froid s'atténua.

— Vous avez marché quatre heures, Arthur ? demanda Leo.

— Je ne sais plus, avoua le jeune roi.

— Bon, on pourrait passer par Saint-Dominique avant d'aller à Saint-Michel. Au cas où, dit Leo, à moitié pour elle-même.

— Tu as mangé ? ajouta Nina à mi-voix.

— Une carotte.

— C'est tout ?

Arthur hocha la tête. Rien d'autre depuis les vermicelles de la veille. Il se sentait faible, incroyablement faible, et tangua sur ses jambes.

— Je vais te chercher quelque chose.

— On n'a pas le temps ! s'exclama Leo.

— On n'est plus à dix minutes. Il va s'effondrer. Et tu seras bien contente qu'il soit en forme si on doit porter Hector. C'est pas à nous deux qu'on va y arriver.

Le va-et-vient de leur conversation assourdissait le jeune homme. Il plaqua les mains sur les yeux, puis sur ses oreilles, mais leur bouclier imparfait ne le protégeait pas de l'extérieur. Son esprit dériva vers le corps inerte qu'il avait abandonné derrière lui. Soufflé par l'impuissance et la terreur, il s'était contenté de fuir, sans songer à dissimuler leur présence, pressé de trouver de l'aide, même auprès de l'ennemi.

Leo et Nina paraissaient soucieuses de retrouver Hector. Simulacre, manipulation, réalité, il ne pouvait en juger, mais c'est de leur pouvoir qu'il doutait avant tout, plus que de leur sincérité. Elles semblaient fébriles, incertaines, et il tenta de ne pas se laisser envahir par le sentiment de perte qui tambourinait à la lisière de son esprit.

Nina reparut et l'attrapa par l'épaule.

— Viens, tu mangeras dans la voiture.

Arthur se laissa guider vers la porte, d'où Leo surveillait le couloir. Les deux femmes échangèrent un rapide signe de tête et ils quittèrent l'appartement. Le roi aurait voulu haïr ces maudites enchanteresses mais, en cet instant, il était juste reconnaissant.

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