5. Escapade

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Viviane avait refermé la porte d'argent et traversa la pièce à la lueur de sa lanterne, jusqu'à une autre issue. Arthur soutenait toujours Hector, lequel semblait retrouver un certain aplomb, si bien qu'il finit par s'en détacher. Ses yeux noirs scrutèrent un instant le visage du jeune roi, mais le déplacement de la magicienne les ramena l'un et l'autre dans l'obscurité.

— Mettez les capuchons de vos manteaux, souffla l'inconnue. Gardez les yeux baissés. Ne faites pas de bruit, ne dites rien. C'est vital.

— La fuite n'est pas digne d'un héros.

La voix d'Hector avait tonné dans la pièce, en dépit des instructions de leur guide. Arthur vit les yeux de la jeune femme s'écarquiller sous son masque.

— Mourir l'est-il davantage ? demanda-t-elle à voix basse. Mourir par traîtrise avant d'accomplir son destin ?

Sa lumière blanche éclairait les traits de l'étranger, révélant l'étendue de son doute.

Légitime, songea Arthur, il a raison.

Hector secoua la tête, bras croisés sur sa large poitrine.

— Si vous restez ici, vous mourrez, reprit la jeune femme, et son ton vibrait d'une conviction alarmée. Tous les deux. Demain ou le jour d'après. Personne ne pourra vous protéger. Votre... grandeur... sera effacée d'un seul trait, une lance, une épée.

Elle ferma les yeux, se massa le visage d'une main lente.

— Mais c'est votre choix, oui. Je ne peux pas vous empêcher de vous sacrifier stupidement.

La pique porta, car Hector se redressa, soudain furieux. L'étrangère haussa les épaules.

— J'aurai fait ce que je pouvais. Mais c'est vrai que vous êtes les valeureux héros, je ne pourrais guère vous contraindre.

Arthur prit conscience des soubresauts de son coeur emballé, qui soulevait la toile de sa tunique à chaque battement. Il aurait dû s'exprimer, soutenir l'un ou l'autre.

— Fuir est parfois l'option la plus raisonnable, offrit-il. Nous reviendrons plus forts.

Il croisa le regard d'Hector, qui le jaugeait, soupçonneux. Qui était ce « nous », au juste ? Qui était cet étranger qui parlait de lui-même avec une telle arrogance ?

Il songea à sa lumineuse morale : blanc et noir, ami et ennemi. Il était certain de n'avoir jamais croisé cet individu, de n'avoir jamais entendu parler d'un chevalier de cette génération, nommé Hector, mais pourtant il émanait quelque chose de cet étranger, une certaine noblesse, une puissance contenue, une forme de vérité.

— Comment peux-tu savoir que je vais mourir ? Doutes-tu de ma vaillance ?

La question ne s'adressait pas au jeune roi, et ce dernier nota la disparition du « nous » qui l'avait rassuré jusqu'alors.

— J'ai vu le futur, annonça soudain la jeune femme d'une voix morne. J'ai vu Atropos trancher le fil de la ta vie, d'un seul geste, sans frémir, éternelle inflexible. J'ai vu les femmes te pleurer, j'ai vu le sol t'engloutir, le rire de tes ennemis, la chute de Troie.

Arthur frissonna. De quoi parlait-elle ? La possibilité qu'il ne s'agisse que d'un rêve le heurta soudain et, malgré lui, il fit un pas en arrière. La jeune femme lui jeta un regard alarmé tandis qu'Hector grimaçait.

— Nul ne s'oppose au Destin, lâcha ce dernier.

Cette fois, la jeune femme soupira avec bruit.

— Oh, fais comme tu veux ! s'exclama-t-elle, agacée.

Les Héros de Rien (en cours)Where stories live. Discover now