9. Stupeur

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Dans son rêve, il court dans la forêt, à perdre haleine, poursuivi par un dragon. La créature incandescente n'est qu'à quelques mètres, elle broie les arbres, réduit leurs branchages en tisons, souffle les feuilles en nuées qui frôlent et battent le jeune roi éperdu.

Arthur porte son armure, ou pas, des vêtements, il est nu, il a Excalibur, ne l'a plus, la retrouve plantée dans une souche, pense l'arracher d'un geste mais elle résiste, alors il s'arc-boute pour l'en dégager, se cabre et lutte, hurle, mais ne gagne pas un pouce. Il réalise que l'épée n'est pas Excalibur mais un sabre tordu à la lame dentelée, tel qu'en portent certains brigands qui harcèlent ses paysans. Le dragon devenu loup à trois têtes baveuses fond sur lui et, dans ce cauchemar, Arthur tombe dans un humus qui se fait boue, qui l'encercle et l'étouffe, la vase devient lianes qui lui serrent les jambes, le torse, la gorge et le loup s'écarte pour faire place à une femme aux yeux verts et violacés, qui est Guenièvre ou Morgane, ou cette étrangère qui n'est pas sa demi-soeur, et elle penche un calice transparent vers ses lèvres, dans lequel bulle un liquide aux relents âcres. Il se débat, veut injurier la sorcière, mais rien ne sort de sa bouche qu'un gémissement misérable. Elle approche la coupe, sa froideur presse contre sa peau, des larmes emplissent son regard, et soudain le sol se dérobe et il chute dans un néant sans fin.

Il voudrait briser cette vision, car ce n'est rien d'autre, pas la réalité, il le sait, c'est un rêve, un stupide rêve induit par son angoisse, mais il ne peut pas s'en délivrer, et la terreur flambe malgré tout, et peut-être s'agit-il quand même d'une vérité, car l'existence est pleine de mystères, de maléfices, de mondes inconnus qu'il n'a jamais arpentés.

La chute se brise quand des bras puissants le rattrapent. Il fait sombre mais chaud, et il se laisse bercer par cette étreinte, ces caresses, une présence aimante et forte, qui le rassure, lui insuffle courage et confiance, ainsi qu'une tension agréable dans le ventre. Un baiser sur son front, un baiser sur ses lèvres, il s'y abandonne, offre son corps nu à celui de son amant.

— Je ne comprends pas, murmure-t-il. Le dragon est notre symbole, le symbole des Pendragons.

— Chut, répond Hector. Pas maintenant.

Et le prince troyen le renverse et l'emporte, dans un tourbillon irrésistible, de soupirs et de cris, de sensations, de jouissance.


Arthur émergea brusquement, repoussa la couverture, chut au sol dans un bruissement d'étoffe. Quelque part dans l'obscurité, Hector poussa un grognement étouffé et se retourna, sans sortir de son sommeil. Mortifié, le jeune roi pressa les paumes sur ses orbites et balbutia une prière déstructurée, demandant pardon pour ses péchés et ses pensées impures, les errements de son esprit.

Maléfice, se défendit-il.

Il s'éloigna du lit à quatre pattes, piteux, et gagna la porte, à laquelle il s'adossa. Son souffle lui meurtrissait la gorge, saccadé, en halètements ridicules, et il ne pouvait pas ignorer la tiédeur humide qui virait au froid à hauteur de son entrejambe.

La honte lui brouilla les sens. Il devait absolument quitter la pièce, mettre de la distance entre lui et l'objet de son... de son déplaisir. Les appartements modestes de leur hôtesse offraient d'autres refuges.

Il se redressa, soucieux de ne pas réveiller Hector, inclina la poignée avec précaution et sortit dans le petit couloir. Une lumière grise l'y surprit, ainsi qu'un murmure, puis une voix.

— Désolée, je sais qu'il est très tôt.

L'étrangère parlait avec quelqu'un, depuis la salle principale de son logis. Arthur s'approcha à pas prudents.

Les Héros de Rien (en cours)Where stories live. Discover now