15. Palabres

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Ils se réunirent dans les fauteuils face au miroir magique. Arthur le lorgna avec inquiétude mais sa surface miroitante demeurait obscure depuis la révélation matinale. La sorcière apporta de nouveaux biscuits, ainsi qu'une cruche en verre qui contenait du café. Elle les servit, leur proposa du lait, du sucre, puis s'adossa à son fauteuil dans un soupir nerveux.

Après un passage rapide dans leur chambre, elle leur avait déniché des tuniques amples à courtes manches, dans un tissu doux mais un peu élastique, et dans lesquelles ils rentraient. Celle d'Hector s'ornait du dessin d'un chat ventru au poil jaune, tandis que le sien était barré d'une suite de caractères sans signification évidente. Arthur ne se sentait pas en droit de faire la fine bouche, mais il espérait qu'il ne s'agissait pas d'un maléfice. Il avait passé le vêtement avec circonspection : rien ne s'était produit.

La jeune femme elle-même, Nina, comme elle aimait le répéter, portait des chausses étroites dans une étoffe qui semblait solide comme un habit de paysans, ainsi qu'un étroit tabard qui dénudait ses épaules, à même la peau. Elle avait heureusement mis une chemise par-dessus, qui atténuait l'indécence de sa mise. Malgré des yeux et des cheveux de couleurs différentes, elle demeurait le sosie de Morgane et Arthur la reconnaissait dans cette attitude désinvolte.

— Je suppose que je dois parler la première, finit-elle par dire, après avoir pris une gorgée de son breuvage.

— Je ne peux toujours pas croire que tu ne sois pas Cassandre, intervint Hector, en écho des pensées qui taraudaient Arthur.

Elle haussa les sourcils, une expression qu'Arthur reconnut aussitôt, puis parut embarrassée, ce qui ne lui ressemblait en revanche pas du tout.

— Je ne suis ni Morgane, ni Cassandre. Je leur ressemble parce qu'il... existe des échos... entre les mondes.

— Les mondes ?

— Les mondes, oui.

Son visage avait pris une expression plus ferme. Arthur se méfiait d'elle, viscéralement, un réflexe acquis au fil des années. Il l'avait aimée, elle était sa soeur, des rumeurs malveillantes disaient qu'elle avait été davantage, mais elle avait embrassé les ténèbres et dérivé dans des eaux démoniaques.

Sauf que ce n'était pas Morgane. Comme Hector, il luttait.

— Morgane... et Cassandre... vous n'aviez pas des rapports très heureux avec elles. Mais je ne suis pas comme elles. Je ne veux que votre bien.

— Nous ne sommes pas des mêmes mondes ? l'interrompit Hector. Qu'est-ce que ça veut dire ?

Il paraissait en proie à une incompréhension profonde.

— Il existe plusieurs mondes. En parallèle.

Le visage du Troyen s'était plissé comme un parchemin froissé.

— L'Olympe... Les Enfers...

— C'est plus... compliqué que ça, murmura leur hôtesse.

— Nous voulons rentrer, trancha Arthur, espérant arracher Hector à son trouble.

— Ce n'est pas possible.

Elle soupira.

— Pourquoi ? demanda-t-il. Nous pouvons faire le chemin à l'envers... Remonter dans le chariot bleu. Les couloirs...

Nina secoua la tête.

— Ce n'est pas possible. Vos... vos mondes ont continué leur route sans vous. Et vous devez continuer la vôtre ici. Je vais vous y aider. Leo va revenir...

— Pourquoi ? explosa Hector.

Ses poings pressaient contre ses orbites, comme s'il espérait qu'en rouvrant les yeux, l'univers autour d'eux aurait changé.

Les Héros de Rien (en cours)Where stories live. Discover now