37. Nina

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Note de l'auteure : Après moult hésitations, tergiversations et doutes profonds, je risque le changement de POV. Pas sûre que c'est la chose à faire, mais on va tenter comme ça ! Je compte sur vous pour me dire ce que vous en pensez en temps utiles (sans doute plus tard, il faut lui laisser sa chance !)

***

Une fois débarrassée de son bandeau, Nina cligna des yeux dans la lumière étincelante, le coeur battant. Simon, le chef du service de sécurité de Max, quitta le siège du conducteur et abandonna la jeune femme sans un regard en arrière, disparaissant rapidement au coin d'une rue, anonyme et innocent. Nina prit une profonde inspiration et tâtonna pour allumer le GPS, avant de glisser sur le siège du conducteur. La voiture stationnait sur le parking d'une grande surface, elle pouvait s'offrir quelques minutes de répit avant de reprendre la route.

Respirer.

La tentation d'ouvrir le coffre pour vérifier qu'Arthur allait bien était dévorante, mais elle ne pouvait absolument pas se le permettre. De surcroît, les chiffres qui scintillaient sur le tableau de bord lui rappelaient que le temps leur était compté. Les répétitions commençaient vers onze heures, et la distribution arrivait environ vingt minutes à l'avance. Il lui restait moins d'une heure pour ramener Arthur au studio et le guider jusqu'à sa chambre. Elle aurait aimé pouvoir discuter avec lui de ses intentions, mais tant Max que Leo l'avaient sermonnée : ce que l'EBA décidait d'entreprendre ne la concernait pas. Elle devait entrer puis sortir dès qu'elle le pourrait. Ensuite, démission, disparition, des mots qui paraissaient énormes et absurdes, mais qu'elle serait forcée d'affronter.

Demain.

Respirer.

Elle démarra le moteur, les loupiotes du tableau de bord l'accueillirent en couinant, puis la musique, tranquille, envahit l'habitacle. Une mélopée apaisante, peut-être un peu mélancolique. Elle se demanda si on l'entendait depuis les profondeurs du coffre. Si Arthur avait assez d'oxygène pour respirer. S'il avait peur. S'il regrettait.

Aucune chance, avait dit Max.

Mais Max ne le connaissait pas comme elle le connaissait. Elle l'avait vu combattre cent fois. Elle l'avait vu froncer les sourcils, défier, se garder, hésiter, s'élancer, mourir.

Mourir et mourir encore. Parfois sous ses yeux.

Comme la plupart de ses contemporains, Nina avait été confrontée à la violence très tôt. Omniprésente sur les écrans, dans les livres, souvent sans filtres, on la redoutait puis on s'habituait. Coups de poing, de feu, de lame, zombies et boursouflures, la surenchère du pire s'étalait dans les films, les jeux, les vignettes sur les réseaux sociaux. On se défiait entre adolescents, de regarder sans broncher. Elle avait appris à se détacher. Parfois à rentrer en elle-même. Regarder sans voir. Ce n'était pas si difficile, de contrôler le focus de ses yeux pour qu'ils floutent l'indicible.

Chez Légendes, rien n'était laissé au hasard en la matière. Dès leur audition, les aspirants acteurs étaient exposés à des images diverses, douces comme cruelles, et on mesurait finement leurs réactions émotionnelles. Au chaton noyé dans la cuvette, au bébé bleu dans un sac poubelle, aux exécutions publiques, à la corde, la machette, enfin aux combats entre chevaliers factices, tripes et épées, sous un soleil artificiel. On couvrait les candidats d'électrodes, de tensiomètres, d'appareils sophistiqués qui recueillaient la sueur à la surface d'un doigt ou les contractions de la pupille. Ceux qui frémissaient trop étaient recalés avant d'avoir déclamé une première réplique. Ceux qui ne frémissaient pas plaisaient, psychopathes en puissance, une valeur sûre. Ceux qui s'émouvaient un rien pouvaient être éduqués à perdre ces derniers scrupules. C'est ce qui était arrivé à Nina.

Les Héros de Rien (en cours)Where stories live. Discover now